Bitter Sweet Symphony : décryptage d’une chanson éternelle

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En ouvrant ce blog, il y a maintenant un peu plus d’un an, je ne m’étais honnêtement donnée aucune réelle ligne éditoriale. C’est bien simple, je m’étais dit que je parlerais d’absolument tout ce qui m’inspirait. Alors que j’ai vogué de Gossip Girl à mon éco-anxiété en passant par mon amour pour Oasis, je réalise qu’il ne doit pas être évident de se faire une image de moi. Dans un mauvais jour, je dirais que cela prouve que je m’éparpille trop souvent, étant du genre à faire le ménage avec la brosse à dents dans la bouche. J’ajouterais alors que cela reflète un esprit qui part dans toutes les directions, et qu’en fin de compte, c'est le signe que je suis encore un peu en exploration de moi-même.

Mais aujourd’hui, j’ai décidé d’être dans un bon jour. Et dans ce genre de jours, j’ai envie de me dire que je suis une personne curieuse, éclectique comme on dit. Une personne qui ne se laisse pas enfermer dans une seule case. Une personne qui ne pourrait sans doute pas tout avouer sur elle-même à travers les billets qu’elle balance sur internet, mais qui possède plusieurs fiertés personnelles. Comme mes Vans bleues pâles, mon talent au blind-test, ma spontanéité, mon authenticité, ma sensibilité. Et le fait que je partage mon anniversaire avec Tom Hardy

Cet accomplissement semble peut-être futile et croyez-moi j’aurais adoré vous dire que j’ai gagné une médaille olympique. Malheureusement, ma carrière de sportive de haut niveau fut brutalement interrompue à mes 7 ans, après une chute d’une poutre après même pas trois mois de gymnastique. 

Récemment, un gadin à vélo - tant qu’on y est, je peux en profiter pour vous livrer que je tombe sans doute bien trop souvent - un ennui profond et un ralentissement momentané de moi-même m’a fait réaliser qu’un autre 15 septembre, le jour de mes 4 ans en 1997, est sorti en France un tube de six minutes cultissime : Bitter Sweet Symphony. Pouvant se vanter d’être l’un des hymnes de la Britpop, la chanson a joué un rôle crucial dans la popularisation du groupe The Verve et a marqué un réel tournant dans leur carrière.

Par envie subite et assumant aujourd’hui pleinement ma capacité à me disperser, j’ai donc eu envie d’explorer ce morceau qui mêle de toute beauté des éléments de rock alternatif et de symphonique. Et de partager tout cela avec vous, afin que, comme moi, la combinaison de l'orchestration puissante, les paroles introspectives et la voix distinctive du chanteur Richard Ashcroft vous reste en tête. Elle habite mon cerveau depuis facile une semaine. Pourquoi serais-je la seule, sachant que le texte de cet hymne explore des thèmes universels, évoquant à la fois les contraintes de la vie moderne, l'identité et l’envie de changer une existence qui paraît ultra monotone et toute tracée ?!

La vie : une  “symphonie douce-amère”

Sorti trois mois avant en Angleterre, pays d’origine du groupe, Bitter Sweet Symphony figure sur l’album Urban Hymnsqui contient aussi les incroyables Lucky Man et Sonnet. Enregistré avec un orchestre de 24 musiciens aux Olympic Studios à Londres, ce morceau suscita des débats sur ses droits d'auteur. Bien que le chanteur Richard Ashcroft l’ait écrit, il fut longtemps aussi crédité à Keith Richards et Mick Jagger après un long procès médiatisé. The Verve avait été accusé par Allen Klein, le gestionnaire des droits d'auteur des chansons des Rolling Stones avant 1970, d'avoir plagié la chanson de 1965 The Last Time (ou du moins, la version orchestrale arrangée par Andrew Oldham). Contraints dans un premier temps de céder la totalité des crédits de composition, ces derniers ont été restitués à Richard Ashcroft en 2019. 22 ans, donc et un énorme coup dur, auront été nécessaires à son créateur pour ENFIN toucher les cachets d’un succès énorme. 

Quoi qu’il en soit, le titre de la chanson, que l’on pourrait traduire par "symphonie douce-amère" symbolise l’ambivalence de la nature humaine : notre existence oscille entre joie et souffrance, droits et devoirs, liberté et contraintes. 

Les premières paroles, "Tryna make ends meet, you're a slave to money then you die" ("Essayer de joindre les deux bouts, tu es esclave de l'argent, puis tu meurs"), montrent la réalité du quotidien de beaucoup de gens. Cette nécessité de “s’en sortir” est une forme de servitude moderne, les efforts pour atteindre un équilibre financier devenant une source de stress. La vie devient une série de compromis et de sacrifices pour satisfaire les besoins matériels, alors que chacun.e voudrait juste une existence plus épanouissante et plus libre.

Cette lutte pour avancer coûte que coûte est d’ailleurs symbolisée de façon assez claire dans le clip. Largement diffusé sur les chaines musicales et nommé plusieurs fois aux MTV Video Music Awards de 1998, on y voit le chanteur marcher de façon déterminée en se prenant tous les passants sans réagir dans une rue d’Hoxton, à Londres. Cette marche solitaire représente alors également le combat pour rester droit.e dans ses bottes dans une société à la fois déshumanisante et superficielle

Bouger ou rester là

Et dans tout ça, l’on sent parfois que l’on a besoin de changement. Consciemment insatisfait.e, l’on voudrait que les choses évoluent mais on a le sentiment d’être paralysé.e, ou bien piégé.e par notre situation. Je sais que j’ai ressenti ce dilemme plusieurs fois dans ma vie, les Casseurs Flowters aussi, tout comme de nombreuses autres personnes. Ce sentiment profond de stagnation et de frustration est répété dans le refrain de Bitter Sweet Symphony - "No change, I can change / I can change, I can change / But I'm here in my mould" ("Pas de changement, je peux changer / Je peux changer, je peux changer / Mais je suis coincé dans mon moule" - ou “ma moisissure”, comme vous voulez).

La répétition de "I can change" (soit “je peux changer”) semble être une tentative de se convaincre soi-même, avant même de convaincre les autres, que tout est possible. Pourtant, il admet ne pas pouvoir changer ce ”moule” dans lequel la société lui a imposé de rentrer. Ce qui ne signifie pas nécessairement une absence de bien-être, mais renferme, dans le cas de la chanson, toutes les contraintes, les habitudes et les schémas cumulés. Cela inclut tout un tas de choses dont des attentes sociales plus ou moins supportables, des habitudes pépères et des limitations imposées, qui restreignent sacrémentla possibilité de changement.

Cela créé donc des crises d’identités, traversées plus ou moins vaillamment par un large panel de millénnials, y compris dans les séries et films, comme Fleabag et Frances Ha. Le chanteur de The Verve exprimant alors se sentir “un million de personnes différentes d'un jour à l'autre” ("I'm a million different people / From one day to the next") parle d’un conflit intérieur profond et soulève une question existentielle universelle : comment se percevoir et se définir de manière stable ? 

Le chanteur, se sentant coupé des autres, nous révèle que ce mal-être est exacerbé par des moments de désespoir, où même quelqu'un comme lui qui "ne prie jamais" se retrouve "à genoux", cherchant désespérément des sons ou des paroles qui résonnent avec la douleur qu'il ressent ("I need to hear some sounds that recognize the pain in me"). Il a ni plus ni moins juste grand besoin d’être compris, validé et de ne pas se sentir seul comme un chien dans sa douleur. La musique devient alors une force purificatrice, quelque chose qui peut apaiser son esprit et offrir un sentiment de liberté. Il sait qu’au passage, elle pourra aussi nettoyer son esprit des pensées et des émotions négatives.

Juste du sexe  et de la  violence

Et puis, quand vient le dernier paragraphe de la chanson, à quasiment la cinquième minute, Richard Ashcroft nous transmet une conclusion peu optimiste, composée d’un mélange de résignation et de frustration. Il nous dit en effet à nouveau qu’il est prisonnier de son mode de vie, mais qu’après tout, "It's just sex and violence, melody and silence" ("C'est juste du sexe et de la violence, mélodie et silence"). Cette phrase juxtapose des concepts opposés, ce qui peut être interprété comme une description des extrêmes de l'existence humaine. Le "sex and violence" peut représenter les aspects brutaux et “primitifs” de la vie, tandis que "melody and silence" pourrait symboliser les moments plus doux, harmonieux ou introspectifs. 

Enfin, la chanson se termine par une affirmation du chanteur, qui nous dit qu’il connait finalement qu’une seule manière de vivre. Il ne peut ainsi pas échapper à son passé et à sa trajectoire de vie. En posant alors la question "Have you ever been down?(“As-tu jamais été déprimé.e ?”), il cherche à savoir si chacun.e a déjà vécu des moments de désespoir ou de tristesse similaires aux siens. On peut y voir plusieurs interprétations, notamment que c’est l’expression d’un sentiment de cycle inévitable, interpellant l'auditeur.ice sur ses propres expériences de stagnation et de désespoir. 

Mais moi, je ne peux m’empêcher de me dire que cela reflète, ici aussi, un désir de connexion. Le chanteur veut savoir si l'autre peut partager voire comprendre son cafard. Il pourrait ainsi partager une expérience commune, autrement dit trouver un écho dans les expériences de ses congénères. Il veut savoir si les autres ressentent la même chose, si leur douleur résonne avec la sienne. Invitant les auditeur.ice.s à réfléchir sur leur propre chemin et à reconnaître les similitudes dans leurs expériences, cela nous rappelle à quel point la musique et les émotions humaines sont profondément interconnectées. Le petit riff de violon présent toute la chanson n’est par ailleurs pas innocent et fusionne de toute beauté avec la mélancolie et la frustration présents dans les paroles. 

Ainsi, Bitter Sweet Symphony continue de résonner à travers les décennies, reflétant les propres batailles intérieures et remises en question, génération après génération. Inclus en 2004 et 2010 par le magazine Rolling Stone dans leurs listes des 500 meilleures chansons de tout les temps, son impact perdure à travers les années. Quelques preuves en vrac : l’équipe de football américain des Seahawks de Seattle l’utilisa pour son entrée de terrain en 2006 au Super Bowl XL puis assez régulièrement lors de leurs matchs à domicile - choix ma foi assez cocasse, si vous voulez mon avis, m’enfin, de toute façon je n’ai jamais rien compris au football américain. Elle fut reprise de nombreuses fois, notamment de façon incroyable par London Grammar et utilisée en générique de fin dans le teen movie Sexe Intentions - le coût pour obtenir les droits de la chanson avait d’ailleurs atteint quasi 10 % du budget du film, selon le magazine W

Ce morceau propose donc à chaque être humain, qu’importe son âge, son milieu d’origine et ses aspirations, de toujours chercher une (ou plusieurs) vraie connexion émotionnelle dans un monde qui nous isole bien trop souvent. Parce que, et c’est ce que j’ai choisi de retenir de tout cela, en fin de compte, Bitter Sweet Symphony c’est un sacré témoin que malgré les épreuves de cette chienne de vie, nous ne sommes pas seul.e.s, et surtout pas dans notre quête de sens et d'échanges avec les autres.

J’ai fait une playlist contenant quelques chouettes chansons sorties récemment : cliquez ici pour l’écouter. N’hésitez pas à me partager vos derniers coups de coeur à vous dans les commentaires. ❤️

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