Gossip Girl : le retour sur Netflix d’une série problématique

Toutes les raisons de ne pas la (re)mettre dans notre liste

Ⓒ CW

Depuis le 6 juillet dernier, l’intégrale de Gossip Girl est de retour sur Netflix. Série addictive pour certains, guilty pleasure pour d’autres, elle raconte l’histoire d’étudiants aisés de l'Upper East Side, un quartier chic de Manhattan à New York. Cette jeunesse dorée suit avec ferveur les écrits du blog Gossip Girl, qui divulgue tous les derniers potins et rumeurs sur leur cercle très fermé.

Je me revoyais ado, attendrie par le « bad boy » Chuck Bass et rêvant de rejoindre cette joyeuse bande. Alors j’ai décidé de re-mater cette série.
On ne va pas se le cacher, le recul et les quelques années de plus m’ont permis de constater qu’elle était franchement problématique. Culture du viol, relations malsaines, absurdités scénaristiques... Bref, j’ai compilé tout ce qui n’allait pas dans Gossip Girl. Mais pas de panique, j’ai pour vous plein d’autres séries à regarder à la place.

Attention : spoilers.

Culture du viol

En 2007, Gossip Girl débarquait dans nos télévisions.
Racontée en voix-off pendant six saisons par Gossip Girl, une blogueuse fictive, cette série pour ados a déchainé les passions. Et ce, malgré son lot de moments tordus, de personnages malsains et problématiques... et sa culture du viol omniprésente.

Chuck, l’incarnation du prédateur sexuel

Les cœurs de milliers d’ados ont battu devant Chuck Bass, le brun ténébreux tourmenté, le « bad boy » plein aux as. C’était le petit ami que l’on voulait tous.tes avoir.

Avec un œil adulte, je réalise que Chuck est en fait toxique, mauvais et manipulateur. Pire, Chuck est un potentiel violeur et le prouve dès le premier épisode, en agressant deux personnages féminins, Serena et Jenny. Et ensuite ? Rien. Aucune conséquence, aucune retombée judiciaire, aucune reconstruction difficile des victimes. Les scénaristes, dès les 40 premières minutes de la série, posent les jalons : la série va banaliser le viol et mettre complètement de côté la notion de consentement.

Et ça ne s’arrête pas là. Dans l’épisode d’après, Chuck profite de sa position pour coucher avec les employées de son père, les menaçant de leur faire perdre leur emploi. Deux saisons plus tard, comme s’il pouvait disposer comme il l’entend du corps de sa petite amie Blair, il la « donne » à son oncle contre un hôtel.

Et le problème, c’est que Chuck a des ami.e.s, trouve l’amour et est décrit seulement comme un personnage un peu pénible et torturé, en pleine rédemption. Dans toutes les situations, tous un tas d’excuses lui sont trouvées et ses actions sont toujours amoindries.


Détournement de mineur et victim blaming

Chuck couche deux saisons plus tard, alors qu’il est majeur, avec la même Jenny, âgée de 16 ans. Un détournement de mineur ? Oui, absolument, passé sous silence. Chuck va-t-il cette fois faire face à la justice ? Que nenni. Cette scène passe juste pour un obstacle dans l’histoire Chuck/Blair, quelque chose qui empêche ces derniers de finir ensemble. Et la faute est remise sur Jenny, qui se fait chasser de Manhattan.

On est ici en plein victim blaming (processus qui consiste à tenir la victime d’un crime ou d’un méfait pour responsable de ce qu’il lui arrive). Et Jenny n’est pas la seule dans Gossip Girl à le subir. Serena, droguée et saoule, est filmée par ses « amis » en train d’avoir une relation sexuelle non consentie. Et c’est sur elle que ça retombe, sa mère allant même jusqu’à lui demander comment elle peut encore s’accepter. Serena est en permanence vilainisée par son entourage et devrait, en plus de changer d’ami.e.s, sérieusement songer à changer de parents.

Et puis il y a Blair, qui vit avec Chuck ce qui pourrait être l’exemple d’une relation abusive. Leur histoire n’est malheureusement jamais montrée comme telle, les scénaristes ayant fait le choix de la présenter comme tout ce qu’elle n’est pas : une belle idylle, une histoire d’amour impossible. Or, Gossip Girl s’adresse à des adolescent.e.s, un âge où l’on est facilement influençable et où l’on se fait une idée de l’amour en fonction des couples vus et admirés à l’écran.

Et donc, malheureusement, Blair et Chuck sont encore aujourd’hui considérés comme un couple goal et font rêver et fantasmer beaucoup de jeunes téléspectateur.rice.s.

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Des relations plus toxiques les unes que les autres

Présentés comme des amants maudits, l’on sait dès les premiers épisodes que Blair et Chuck vont finir ensemble, même s’ils vivent une relation des plus malsaines.

Chuck la considère comme sa propriété, il est avec elle, égoïste, humiliant, possessif, insultant et cruel. Mais revient à chaque fois avec un cadeau, un collier, des fleurs, des excuses ou des larmes, et leur histoire recommence. Il va même jusqu’à s’en prendre physiquement à Blair quand il apprend qu’elle va se marier avec Louis Grimaldi, le prince de Monaco. Saoul et énervé, il la pousse, casse une vitre d’un coup de poing, ce qui coupe la joue de la jeune femme. Pour Joshua Safran, scénariste de Gossip Girl, Blair devrait s’attendre à ce genre de comportement de la part de Chuck et n’a donc pas peur, parce qu’ils ont « une relation explosive ». Cette explication des plus bancales montre que la violence de cette scène est ultra minimisée et qu’elle participe à cette idéalisation anormale de la relation entre Chuck et Blair.

Des amitiés nuisibles

Gossip Girl comprend tout un tas de relations peu saines. Les relations amicales sont ainsi basées sur de multiples couteaux dans le dos et la sororité est aux abonnés absents.

Avec Blair et Serena, on a grandi avec l’impression de la représentation d’une « belle amitié », qui au final, ne vend vraiment pas du rêve. Il y a quelques moments attendrissants, lorsque ces « BFFs », comme elles sont qualifiées, échangent et se pardonnent tout. Mais ces moments sont noyés parmi tous les autres : ceux où elles se jugent, s’humilient, se trahissent, couchent avec les exs de l’autre pour se blesser… Malheureusement, le mal qu’elles se font est rarement expliqué et les conséquences sur leur bien-être (ou mal-être) n’est pas exploré. Et donc la série glorifie une amitié féminine mauvaise, où Blair n’hésite pas à dire à tout le monde que Serena a des problèmes de drogue. Et où Serena fait des copies du journal intime de Blair qu’elle stocke sur son ordinateur.

Où finit cette copie ? Dans les mains de Gossip Girl, la source de potins officielle de leur petit microcosme. C’est d’ailleurs à cette mystérieuse blogueuse (qui n'a d’ailleurs rien à faire de sa vie que de raconter celle des autres), que tous les personnages n’hésitent à balancer tout et n’importe quoi sur tout le monde. Dans l’Upper East Side, les rumeurs circulent vite et les secrets ne sont jamais gardés bien longtemps.

Personne ne sait qui tient ce blog. Jusque dans la saison finale, lorsque le masque tombe : Dan est Gossip Girl. Dan, donc, qui dupe tout le monde. Dan, celui qui passe pour le « gentil garçon inoffensif » (qu’on trouve dans toutes les séries) mais qui remet tout le temps la faute sur les autres. Qui est manipulateur. Et qui n’a aucun scrupule, donc, pendant six saisons à colporter des ragots sur TOUT LE MONDE, y compris sa copine, sa sœur, ses ami.e.s…  Y’à pas à dire, Dan est comme Blair et Serena : il a un sens très étrange de l’amitié.

On pourrait se dire qu’avec toutes ces relations malsaines, nos personnages trouveraient du soutien auprès de leurs parents. Et bien non, loupé. Ces derniers sont peu présents, absents voire carrément négligents. Ils laissent leurs enfants faire ce qu’ils veulent, les cachent quand ils font des tentatives de suicide, les rabaissent…

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Un total manque de réalisme

Sous tous ces strass, ces paillettes et ces belles tenues, le monde de Gossip Girl n’est donc pas très enviable. Et ne se rapproche d’aucune réalité, surtout pas de celle des adolescents.

Par son manque de diversité d’abord : tous les personnages principaux sont blancs, hétéros, beaux et riches. A deux exceptions près, cependant. Dan et sa famille sont « pauvres », par rapport aux normes locales (ils vivent dans un grand loft à Brooklyn, c’est sympa d’être pauvre dans Gossip Girl). Et Eric, le frère de Serena, est gay mais il a dans la série une importance minime.

Puis plus on avance dans le visionnage de la série, moins les caractéristiques des personnages sont respectées. Se succèdent des retournements de situations de plus en plus tirés par les cheveux, des triangles amoureux à la pelle et des situations les plus WTF les unes que les autres.

Devenir propriétaire d'un club de burlesque à 16 ans ? Être publié dans le grand magazine The New Yorker alors qu'on est au lycée ? Ressusciter ? Obtenir son diplôme en ne mettant presque jamais le pied en cours ? Avoir un coup de foudre avec le prince de Monaco au musée d’Orsay ? Tout est possible pour notre bande de joyeux lurons.

Y compris avoir une apparence physique qui n’a rien de celle d’un ado de 16 ans. Pour la simple et bonne raison que Serena, Blair, Chuck et les autres sont joués par des adultes.

 

Des adolescents dans des corps d’adultes

Dû à la loi sur le temps de travail des mineurs, les producteurs préfèrent choisir des acteur.ice.s plus âgé.e.s, qui peuvent ainsi passer des journées plus longues sur le plateau. Les adolescents sont donc souvent interprétés dans les films et séries par des acteurs plus âgés.

Les exemples sont nombreux. Dans Grease, John Travolta et Olivia Newton-John incarnaient des adolescents et avaient respectivement 24 et 29 ans. Dans la première saison de Beverly Hills en 1990, Dylan a 16 ans et était interprété par Luke Perry, 23 ans…

Barbara Greenberg, psychologue clinicienne et spécialiste des adolescents et de la famille, explique dans Teen Vogue que le fait de faire jouer des ados à des acteurs dans la vingtaine peut compliquer une période déjà difficile : « Cela peut leur donner l'impression qu'ils sont censés être beaux tout le temps », et donc les amener à se sentir déprimé.e.s. Dans les têtes de ces jeunes en pleine puberté, des modèles peuvent se créer, basés sur des personnages avec des corps d’adultes. Qui suivent les standards de beautés actuels et sont considérés comme désirables par l’industrie du cinéma : sans boutons ni poils, dépourvus d’appareils dentaires, musclés pour les garçons, élancés et minces pour les filles… Pour Barbara Greenberg, cela peut par la suite conduire à « toutes sortes de problèmes liés à l'image corporelle et à la comparaison sociale ». Donc créer des complexes et des objectifs inatteignables.

Dans le cas de Gossip Girl, Leighton Meester, l’interprète de Blair, avait 20 ans lors du tournage. Elle le rappelle dans le podcast Podcrushed, où elle dénonce par la même occasion le fait qu’elle tournait des scènes de relations et de fantasmes sexuels, alors qu’aux yeux de celles et ceux, qui la regardaient, elle avait 16 ans. Elle se demande (tout comme moi) quel exemple et quelle pression cela donne aux jeunes et ajoute qu’avec le recul, elle trouve très étrange que la vie sexuelle d'ados soit si glorifiée et mise en avant.

Car, si les producteurs de la série ont choisi des acteurs majeurs, c’est également pour ne pas avoir à négocier avec les associations de défense de l’enfance et donner aux personnages de la série une vie sexuelle hyperactive et irréaliste à 16 ans. Alors qu’en réalité, c’est un âge où, en majorité, on a encore beaucoup à apprendre sur soi-même et sur son corps, même si on commence à être actif sexuellement.

Dans Gossip Girl, les nombreuses scènes de sexe nous permettent d’affirmer que sa représentation est exagérée et montrée ici aussi, comme « normale ». Le sexe y est glamourisé sans adresser aux adolescents ce qu’ils ont besoin de savoir et de comprendre, tels que le consentement, le dialogue et les moyens de contraception. Cela peut leur donner l’envie dangereuse d’imiter ce qu’ils voient dans leurs relations amoureuses et sexuelles. Ou, comme le précise la youtubeuse Marianne Gllc, leur donner la fausse impression qu’ils ne font pas assez, qu’ils ne couchent pas assez et qu’ils devraient déjà faire des plans à 3 à leur âge (ce que fait Chuck dans la première saison)… Ou pire encore, les amener à avoir des comportements sexistes et/ou violents.

On regarde quoi à la place ?

La télévision a peu à peu pris conscience de l’influence qu’elle pouvait avoir sur les jeunes. Ces dernières années ont donc vu apparaitre des séries bien plus pédagogiques et inclusives, qui transmettent des notions et idées qui aident à se construire, à l’opposé de Gossip Girl.

Sex Education Ⓒ Netflix

Sex Education, avec intelligence et humour, brasse plusieurs thèmes : le consentement, le désir, le sexe (non glamourisé), l’orientation sexuelle, les violences sexuelles, les relations familiales, le validisme… Avec des amitiés saines et des personnages attachants.

Le remake de Hartley, Coeurs à vif sur Netflix construit une sorte de dialogue entre les sexualités, les générations et les genres, avec des personnages principaux appartenant à plusieurs minorités. Tout comme la série convenue et un poil édulcorée Mes premières fois, qui arrive à faire passer des messages de tolérance et d’acceptation de soi. Elle a pour sujets notamment la course inutile à l’intimité, la sexualité positive, le féminisme et les liens entre grands-parents, parents et enfants. Atypical nous parle d’autisme, d’amour (tous les amours) et de la découverte de sexualités différentes avec une bienveillance et une tendresse folles. Les relations toxiques, la culture du viol et le slut-shaming sont dénoncés dans les séries Girls et Grand Army.

Ces teen séries plus récentes montrent des élèves de lycée loin de l’âge adulte et donc plus crédibles. Malgré tout, il reste plusieurs défauts à ces séries, dont une glorification de la consommation de drogues et d’alcool (dans Harley, cœurs à vif, par exemple), sans explications, sans dénonciations et sans crises de manque. De plus, la recette de ces programmes ne s’est pas totalement renouvelé et certains stéréotypes restent. On retrouve encore quasiment à chaque fois certains ingrédients : le personnage du sportif qui fait craquer toutes les filles et celui de la peste, le parent absent (parce que mort ou hors du décor), le temps libre à foison… Et une apparence physique qui ne colle pas toujours avec l’âge du personnage.

Dans Mes premières fois, tous les ados ont une apparence physique à peu près crédible, excepté Paxton... Car il est joué par Darren Barnet, âgé de 29 ans lors de la sortie de la série sur Netflix. Et même en supposant que l’on a une croissance très très rapide, on ne ressemble pas à un homme de 29 ans lorsqu’on en a 16. Paxton, donc, devient le petit ami de Davi, interprétée par Maitreyi Ramakrishnan, 18 ans. Malgré tout l’attachement que j’ai pour cette série et toute la sympathie qu’elle me procure, j’avoue ne pas trop saisir l’intérêt d’une telle différence d’âge entre les deux acteurs.

Ce schéma, comprenant une jeune actrice et un acteur bien plus âgé qui tombent amoureux, nous a été montré à de multiples reprises et nous a été présenté comme normal toute notre vie.

En effet, Hollywood fétichise, et ce, depuis possiblement la naissance du cinéma, les très jeunes, et surtout les très jeunes filles. Sous des corps d’adultes, ces dernières sont hypersexualisées, dans notre monde obsédé par l’objectification des femmes et par la jeunesse.

L’apparence de jeunes filles considérées comme « physiquement matures » est par ailleurs encore malheureusement utilisée dans de trop nombreux procès, quand elles sont victimes de viols ou d’agressions sexuelles. Mais les filles de 14 ans ont 14 ans, peu importe si elles paraissent plus âgées. À cet âge-là, les adolescent.e.s ne sont pas en mesure de consentir à une relation avec un adulte.

C’est ce qu’ont souligné de nombreuses personnalités et victimes d’abus sexuels ces dernières années, en publiant des photos d'elles-mêmes à 13/14 ans en utilisant les hashtags #MeAt14 et #avant15anscestNON sur les réseaux sociaux.

Le jour où notre monde actuel arrêtera de prôner la jeunesse et de rendre « sexy » les bien trop jeunes filles, Hollywood arrêtera avec un peu de chance également de donner des rôles de mères à des actrices bien trop jeunes.

24 Age Gaps Between Actors Who Played Parent and Child That Just Don't Make Sense ⒸBuzzfeed

« Dans Orange Is the New Black, Elizabeth Rodriguez et Dascha Polanco jouent le rôle d’une mère et de sa fille, mais dans la vraie vie, il y a moins de deux ans d'écart entre elles. »

Le sketch de la comédienne Amy Schumer, Last Fuckable Day, traite ces sujets avec humour et soulève une question : comment ça se fait qu’à Hollywood, les actrices passent si rapidement d’adolescentes hypersexualisées à considérées comme plus « baisâbles » ?

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