La quête d’ailleurs : l’évasion dans les chansons de London Grammar

© Eliot Lee Hazel

Je sais que c’est un peu bateau à dire car tout le monde aime la musique, mais tant pis, je le dis quand même : j’aime la musique. J’aime tellement cela que j’en écoute tout le temps, partout. Dans les transports, sous la douche, quand je fais le ménage, pour dormir, en voiture, en cuisinant, lorsque je fais un footing...

Si j’imagine parfois que ma vie devient une comédie musicale où se succéderaient des chansons d’HamiltonOnce et La La Land, je peux compter parmi mes réussites personnelles d’être, selon Spotify, dans le top 3% des plus grand.e.s auditeur.ice.s sur la planète. Et d’être arrivée 15ème au cross du collège, chacun.e ses petites victoires, que voulez-vous. 

Pour moi, des groupes et artistes ont ainsi une connotation particulière. Oasis représente la quête d’identité, The Killers la notion d’espoir et London Grammar incarne l’évasion dans tous les sens du terme.

Depuis leur création, ces dernier.e.s ont souvent exploré des thèmes introspectifs et émotionnels. Le trio britannique, dont le quatrième album The Greatest Love sortira en septembre, parle beaucoup d’amour, de la douleur de la perte, et parfois même des comportements humains. Reconnu pour la voix cristalline et puissante de la chanteuse Hannah Reid ainsi que pour ses mélodies atmosphériques, London Grammar évoque des sentiments de liberté, de recherche de soi et de soutien émotionnel, tout en faisant référence à la nature et à l'évasion comme un moyen de trouver la paix et la rédemption

Leur musique a, sans doute en répercussion, cette incroyable capacité de m'emmener loin de la brutalité parfois écrasante de ce monde. Plus que cela, elle me permet de me créer un refuge musical.

Et puis, bon, j’avoue tout. Alors que je ressens une envie très prenante d’aller vivre à Londres et que je perçois constamment des signes qui m'indiquent de faire mes bagages, leur musique est la bande-son parfaite. Elle accompagne d’une façon sublime mon rêve de vivre dans cette ville vibrante et emblématique.

La naissance et  l’éclosion  de London Grammar

Comme on peut le lire dans Wonderland, tout a commencé en 2009 à Nottingham, à 180 km au nord-ouest de Londres. Patrie de Robin des Bois, c’est également là que l’on peut trouver la (très grande) maison de Bruce Wayne AKA Batman dans The Dark Knight Rises.

Hannah Reid © Zoe McConnell pour NME

C’est sur le campus de la ville que Dan Rothman a vu une vidéo d’Hannah Reid jouant de la guitare sur Facebook et lui a proposé de jammer avec lui. Un an plus tard, iels ont rencontré Dominic "Dot" Major, qui deviendra le claviériste et percussionniste. Et VOILÀ, London Grammar était né. Les tâches se sont rapidement assignées ainsi : Hannah fut en charge de chanter et d’écrire les paroles, Dot de composer les parties de piano et Dan d’ajouter les guitares.

Après quelques dates dans des bars, le groupe sort son premier EP en février 2013. Sous le nom de Metal & Dust, il sera diffusé de façon significative sur les radios nationales et amènera la sortie de leur premier album sept mois plus tard. Intitulé If You Wait, celui-ci reçut de la critique un avis général positif et s'écoula à 150 000 exemplaires en France et 400 000 au Royaume-Uni. Truth Is a Beautiful Thing (2017) et Californian Soil (2021) suivirent, confirmant le style de London Grammar : "un mélange de sons ambiants, éthérés et classiques", avec des guitares mélancoliques, des voix envoûtantes et des influences trip-hop et dance. 

Hannah Reid décrit leurs chansons comme "émotionnellement affectées" et inspirées par les gens qui traversent sa vie. Elles ont, en ce qui me concerne, une capacité assez dingue de me transporter vers un tout autre monde. Leurs arrangements musicaux et leurs rythmes lents créent en effet une atmosphère particulière et immersive, presque aérienne.

S’ils ont rapidement connu le succès, la chanteuse expliquait en 2021 à NME qu’elle avait souvent dû lutter pour être prise au sérieux, en particulier par les professionnels de l'industrie. Elle raconte qu'à plusieurs reprises, elle a dû batailler pour prouver qu'elle faisait partie du groupe et méritait autant de respect que ses homologues masculins. Ce qui a nourri sa détermination à s'affirmer dans un milieu souvent hostile aux femmes.

Aux BRIT Awards 2018 © Tolga AKMEN

Quoi qu’il en soit, et petit à petit, iels ont défini un style bien à eux. Depuis leur création il y a 15 ans, London Grammar a le mérite d’avoir exploré à travers ses chansons tout un tas de thèmes universels. Le groupe a montré que la confiance en soi et la libération des contraintes permettent de se trouver un cocon intérieur tout pilou-pilou, qui permet d’être bien dans ses baskets. 

L’affirmation de soi 

Être heureux commencerait-il par le fait de s’affirmer et de se libérer des contraintes et pressions ? Personnellement, j’y crois pas mal, et j’ai la nette impression que London Grammar aussi.

Strong, issue du premier album du groupe, illustre cette idée. Exprimant tout d’abord une certaine vulnérabilité, Hannah Reid, avec les paroles "Excuse me for a while / While I'm wide-eyed / And I'm so damn caught in the middle" (“Excuse-moi un moment / Alors que j'ai les yeux écarquillés / Et je suis prise au piège entre deux feux”), pose la situation en nous communiquant cette impression d'être coincée au milieu de forces contradictoires. Chose qu’elle nous confirme en utilisant deux métaphores assez parlantes : l'écoute d’un lion qui rugit et d’un l’enfant qui pleure (“And a lion, a lion roars, would you not listen? If a child, a child cries, would you not forgive them?”). 

Cette comparaison entre ce gros félin et ce bambin met en évidence la nécessité de reconnaître les besoins émotionnels des autres et amorce une sorte d’exploration des émotions, que l’on trouve toute la chanson.

En effet, après avoir souligné cette nécessité d'empathie et de compassion, la chanteuse nous parle de cette façade qu’on est amené.e.s à se créer face à la pression sociale. Si cela nous donne une apparence de force en toutes circonstances, il peut être rude de la maintenir et on peut logiquement être amené.e.s à faire des erreurs - "I might seem so strong / Yeah I might speak so long / I've never been so wrong". Alors, nous est dit qu’il vaut mieux la laisser s’écrouler et être à l'écoute de nos propres besoins émotionnels. Cela permettra de laisser nos émotions s'exprimer librement et, d’une pierre deux coups, de reconnaître nos propres limites. Et alors, de fil en aiguille, l’on pourra essayer de déterminer qui l’on est

Bien évidemment, cela ne se fera pas du jour au lendemain, et cette affirmation de soi passera par des moments de doute et de questionnements. Répondre aux attentes des autres, et il faudra y prendre garde, ne sera donc peut-être pas compatible avec le fait de rester fidèle à soi-même. C’est en tout cas ce que j’interprète de "I guess, I guess it is hell and you are the only thing I've ever truly known" et de "So, I hesitate, if I can act the same for you"  (“Je suppose, je suppose que c'est l'enfer et que tu es la seule chose que j'ai jamais vraiment connue”/”Alors, j'hésite, si je peux faire de même pour toi”) prononcées dans une autre chanson, Rooting for you.

La création d’un espace personnel 

Cette sorte de quête pourra également se faire à l’aide d’un espace où l’on se sent pleinement libre d'être nous-même, en harmonie avec nos valeurs, nos désirs et nos besoins. 

Et c’est à cet instant qu’il est idéal de se mettre le morceau House dans les oreilles, qui sera dans le prochain album du groupe.

Cette “maison”, nous y dis-t’on, se trouve après un peu d’introspectionCe refuge, est ici plus qu’un lieu physique, mais un espace métaphorique, où l’on se sent vraiment bien. Les paroles du refrain, qui insistent sur "mon chez-moi", "ma maison", et "mes règles" - "This is my place, my house, my rules" montrent une forte envie de créer un endroit où l’on peut définir ses propres limites et s’affirmer face à tout ce que l’on essaye de nous imposer.

L’imagination et la créativité n’y sont pas prohibées, bien au contraire. Même mieux, elles permettront de se retrouver dans une contrée utopique, loin des réalités terrestres. Hannah Reid suggère en effet de "monter vers le ciel pour s'asseoir avec les étoiles" et de "construire une ville, rester jeune pour toujours" - "We are climbing to the sky to sit with the stars" / "Build a city, stay forever young”. Cette aspiration à atteindre des sommets et à créer quelque chose de significatif et intemporel, loin des contraintes du temps, est dite très joliment. Elle a, en plus, des tas de choses à voir avec l'espoir, l'ambition et l'immortalité.

Et vu que les connexions n’empêchent pas de conserver son autonomie, rien n’empêche d’inviter les autres à entrer dans cet espace personnel - "You're so welcome in this house that I have built" (“Tu es le.la bienvenu.e dans cette maison que j'ai construite”).

Évasion de la négativité et de l'incertitude

Mais pour pleinement se sentir à la fois soi-même et libre, il est crucial de se débarrasser des influences négatives et des incertitudes. 

Cela inclut donc, comme nous dit Non Believer, de se détacher des idées sombres, des fausses illusions et des personnes qui nous confortent dans le désespoir.

Les peurs de passer à coté de sa vie sont quant à elles exprimées dans Wasting My Young Year, qui évoque également le fort désir de trouver une voie plus significative

Il faudrait aussi, comme l’a souligné Hannah Reid à Vice à propos de Big Picture, laisser sortir ces gros “F*ck you” que l’on a envie de dire après avoir été traité.e de manière ignoble. 

En se concentrant ensuite sur l'acceptation des blessures émotionnelles - "I swear that these scars are fine" (“je jure que ces cicatrices vont bien”), on verra alors toutes les possibilités que ce monde a à nous offrir. En regardant la "grande image" et donc en prenant du recul, la narratrice est parvenue à accepter les erreurs du passé et à envisager l'avenir avec plus de clarté. Ce qui lui a permis de faire un grand ménage, consistant à rejeter les vieilles illusions - "Don't say you ever loved me, don't say you ever cared" (“Ne dis pas que tu m'as déjà aimé”), tout en protégeant ses proches et en dévoilant la vraie nature de l’autre - "You can try to get close to those I love, do you really think they don't know what you're made of?" (“Tu peux essayer de te rapprocher de ceux que j'aime, penses-tu vraiment qu'ils ne savent pas de quoi tu es fait?”).

Ensemble, ces trois chansons nous invitent donc à réfléchir sur les chemins que l’on trace et à chercher des moments de clarté et de satisfaction. Elles nous rappellent également que l'évasion est plus qu’une fuite des problèmes : c’est un acte brave de courage, nous permettant de trouver la paix intérieure, pour acquérir un avenir tout joli.

Résonances de désillusion

Malheureusement, cette envie d’ailleurs peut se solder par des désenchantements. Écrite à une époque où Hannah Reid pensait devoir quitter le groupe pour des raisons de santé, America explore ce thème, en s’appuyant sur la poursuite du rêve américain (“But all of our time chasing America"). 

Ce fameux idéal, qui tient sur l’idée de réussir à partir de rien au pays de l’Oncle Sam, se retrouve dans de multiples films, de Scarface à The Social NetworkS’il s’est affaibli ces dernières années, il est souvent associée à la quête incessante de quelque chose de meilleur. La chanteuse nous confie qu’elle avait elle-même cet objectif en tête, mais que malgré tous ses efforts, elle n’en a retiré aucune satisfaction. Néanmoins, elle a toujours de l'espoir pour les autres. Elle reconnait l'attrait que ce rêve peut susciter, même s'il n'a pas fonctionné pour elle. 

Je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’il faut parfois passer par ce genre de désillusions, pour se pousser à échapper à un quotidien décevant ou insatisfaisant. En cela, America trouve un écho chez London Grammar dans l’une de leurs premières chansons, Hey Now.

Dans cette dernière, les paroles évoquent un sentiment de perte et de désorientation. Les “lettres en feu” ("letters burning") près du lit symbolisent les espoirs et les attentes qu'elle avait dans ses aspirations, à présent réduites en cendres. Ces images pourraient suggérer une libération, mais la “peur” et le “choc” ("frightening" et "like lightning") montrent que cette évasion n'est ni simple, ni totalement libératrice

© Tarek Mawad

En somme, je sais que je reviens toujours vers leur musique, car London Grammar nous invite à réfléchir sur nous-mêmes et à chercher en permanence des moments de clarté et de satisfaction - même si on dirait pas toujours, car la tonalité est souvent bien peu gaie. Leur exploration de l’évasion résonne en moi car le groupe capture finement ce qui fait l’expérience humaine : la recherche de bonheur, de réussite, de connexions, ainsi que toutes ces fois où l’on tombe pour ensuite se relever. 

Tout ces ingrédients réunis permettent au groupe d’avoir ainsi une fan base ultra dévouée et de recevoir des pluies de critiques élogieuses à travers le monde. 

J’ai fait une playlist contenant quelques chouettes chansons sorties ces deux dernières mois : cliquez ici pour l’écouter. N’hésitez pas à me partager vos coups de coeur à vous dans les commentaires. ❤️

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