L’impact des conflits sur la jeunesse

Notre MondeLes Nageuses et Derry Girls : des générations confrontées à la guerre, à la violence et à l'instabilité politique

Notre Monde © Unifrance

Ayant pour but de me mettre au vert, comme disent les citadin.e.s en plein burn-out (ou, qui, dans mon cas, viennent tout juste de démissionner), j’ai été passer quelques jours à Thonon-les-Bains. Cette petite ville pleine de charme en Haute-Savoie, où vivent mes parents, propose de nombreuses activités, telles que des balades le long du lac Léman, dans les petites rues du centre-ville ou dans les montagnes alentours. Je pourrais vous faire un petit top des activités à faire dans ce coin, mais en plus de ne pas avoir le but de me transformer en Lorànt Deutsch, je ne vous cache pas que ma mise au vert fut assez pluvieuse et qu’elle m’a menée au cinéma, pour une séance de Notre Monde

Réalisé par l'actrice et réalisatrice franco-kosovare Luàna Bajrami, dont c’est le deuxième long-métrage à seulement 23 ans, ce film se passe au Kosovo en 2007. Alors que tout le pays attend avidement son indépendance, qui sera finalement acquise en 2008, Zoé et Volta, 18 ans, cousines complices, ont eu la même enfance préservée. Sans horizon possible dans leur village, hormis un mariage avec quelqu'un de random dans leur voisinage, elles partent un jour pour Pristina, la capitale, en quête d'une vie meilleure. Une fois là-bas, elles s’inscrivent à l’université, partagent la même chambre à la cité universitaire, et déchantent malheureusement vite, à cause de l’absentéisme des professeurs et du manque de perspectives.

En nous faisant suivre deux adolescentes qui ont la fureur de vivre et sont pleines d’illusions, ce récit poignant se déroule comme un film coming of agePlus globalement, il nous offre un regard profond sur ces jeunes cherchant à se définir dans un monde qui les sacrifie sans vergogne. 

Cri d'une génération perdue et oubliée, Notre Monde est en lien avec la série Derry Girls et le film Les Nageuses. Dans des contextes et des lieux différents, chacun explore la réalité déchirante voire inhumaine de jeunes évoluant dans un quotidien marqué par la violence. Ces personnages entre 17 et 19 ans ont en commun qu’on les empêche de vivre une adolescence “banale", comme le fait notamment Cher Horowitz dans Clueless

Les NageusesNotre monde : la réalité  brutale de la guerre et de l'exil

Les Nageuses © Netflix

Les Nageuses a été réalisé par Sally El Hosaini et relate une histoire vraie, celle des sœurs Sara et Yusra Mardini. Vouées à des carrières de nageuses professionnelles, elles essaient de vivre une vie aussi normale que possible dans une Syrie en pleine guerre civile. Âgée de 17 ans, Yusra, la cadette de deux ans, rêve de participer aux Jeux olympiques d'été. Après avoir failli être tuées par une bombe pendant un entraînement, elles se retrouvent à fuir leur pays pour l’Allemagne avec 10 000 euros en poche. 

Ayant pour but de faire par la suite une demande de regroupement familial, et dans une quête de sécurité et de liberté, elles prennent tout d’abord un vol vers Istanbul. Elles entreprennent ensuite une traversée éprouvante de la mer Égée à bord d'un canot pneumatique surchargé et équipé d'un moteur défectueux, puis traversent la Grèce, la Serbie, la Hongrie… Atteignant finalement Berlin, elles se retrouvent dans un camp pour réfugié.e.s sur le champ de Tempelhof, où elles doivent attendre la fin de leur procédure d’asile. Cherchant un moyen de continuer à nager, Yusra rencontre l’entraîneur Sven Spannekrebs, qui la persuade de concourir aux J.O. dans l’équipe des réfugiés.

Cela ne nous est pas montré dans le film mais Sara Mardini est ensuite retournée en Grèce. Elle encourt aujourd’hui jusqu'à 25 ans d'emprisonnement car elle œuvrait au sein d'ONG venant en aide aux naufragé.e.s sur l'île de Lesbos.

Les Nageuses met finalement en évidence le chemin dur et interminable des personnes exilées et cette propension à rester passifs face à leur sort. 

Les Nageuses © Netflix

De plus, ce film promeut la solidarité et sensibilise le public à la réalité de ceux qui cherchent juste à vivre dans un endroit sûr. Il encourage également à remettre en question les politiques migratoires.

Malgré des situations, des contextes géographiques et politiques différents, et si le Kosovo est à des milliers de kilomètres de la Syrie, l’on peut voir plusieurs points communs entre Les Nageuses et Notre Monde. Nos quatre protagonistes subissent les conséquences et séquelles de la guerre et doivent faire face à des circonstances traumatisantes. Privées des expériences que l’on vit à cet âge-là, telles qu’une instruction, des activités sociales et des loisirs, elles vivent une fin d’adolescence loin d'être insouciante et heureuse. 

La situation de Zoé et Volta n'atteint pas le même niveau d'urgence et de danger. Néanmoins, et bien que ce soit plusieurs années après la fin officielle du conflit au Kosovo, elles en ramassent les pots cassés. Le pays est appauvri, des militaires américain.e.s sont resté.e.s et Volta est devenue orpheline. Et alors que les deux cousines étaient dans une quête d’émancipation, elles obtiennent des perspectives aussi limitées à Pristina que dans leur village d’origine. 

L’état économique et social du pays est de manière générale terriblement désastreux. Il contrecarre tout objectif de s’instruire, et un peu par extension, de vivre un quotidien décent. Les bâtiments délabrés, la ligne de chemin de fer désuète, les couloirs froids et les paysages désolés apportent d’ailleurs une ambiance un peu post-apocalyptique et témoignent de la difficulté pour un pays de se reconstruire. Le temps est long, elles apprennent la débrouille à défaut d’avoir cours et se retrouvent à errer. 

Doivent-elles se battre ou bien tout laisser tomber et rentrer au village ? Nos deux héroïnes n’ont pas la réponse concrète à cette question, ce qui les rend désœuvrées, comme le sont la plupart des gens de leur âge qu’elles rencontrent. 

Ces deux films soulèvent au final plusieurs problèmes dont : sérieusement, c’est quoi ce futur qu’on offre à ces jeunes ? 

Derry Girls  et le conflit nord-irlandais

Derry Girls © Netflix

Dans un tout autre registre, mais pour autant absolument pas futile, Derry Girls est drôle, grinçante et ultra touchante. Série remplie de blagues et d'amitié, elle dépeint ce que c'est que de grandir à l’époque des “Troubles”, ce moment de forte tension entre les communautés catholiques et protestantes qui s’est étendu approximativement de 1968 à 1998 en Irlande du Nord. Plongeant le pays dans le chaos, cette période sombre de 30 ans engendra des séquelles non résolues encore aujourd’hui.

C’est dans les années 90 et donc dans ce contexte que Lisa McGee, réalisatrice et scénariste de la série, installe son histoire. On y suit plus concrètement le quotidien d’Erin, Orla, Claire et Michelle, quatre adolescentes catholiques irlandaises, et de James, le cousin anglais de Michelle, qui vient d’emménager chez elle après avoir été abandonné par sa mère. Durant les trois saisons, les cinq amis tentent ni plus ni moins de vivre une vie classique d'adolescent.e.s, avec ses querelles entre camarades, ses premiers amours, ses disputes avec les parents, etc. 

Contrairement à Les Nageuses et Notre Monde, les “Troubles” sont plutôt présents en toile de fond. Néanmoins, des soldats et véhicules militaires dans les rues forcent les personnages à composer avec des barrages routiers sur la route du lycée, des manifestations, des patrouilles et des attentats.

La fin de la première saison de Derry Girls offre une représentation puissante de cette dichotomie entre l'adolescence ordinaire et les temps de violence. 

Alors qu'Orla danse de façon assez approximative sur du Take That lors du spectacle de talents de l'école, elle devient la cible de moqueries. Sa cousine Erin et le reste de ses ami.e.s se lèvent pour la rejoindre sur scène. Là, la musique s'arrête brusquement et l’on voit la famille d’Erin dans leur salon apprendre qu’un attentat à la bombe a fait 12 morts et un grand nombre de blessés. La tension se fait sentir de manière viscérale, la musique reprend, mais cette fois, c’est The Cranberries qui chantent leur tube Dreams. Choix non innocent de bande son, les paroles parlant du changement constant de la vie (life is changing every day) et de l'incertitude de l'avenir. Dans l’ignorance de ce qui se passe, nos cinq adolescent.e.s continuent pendant ce temps-là de danser et de rire. 

Cette fin d’épisode comique puis tragique est profondément symbolique, pour des raisons variées. Ce soutien apporté à Orla par ses ami.e.s est une belle preuve de la force de l'amitié, qui contraste fortement avec ce qui se passe à l’extérieur. Elle témoigne également de l'innocence de nos personnages dans un monde brutal et chaotique. À mon sens, cela illustre la manière dont iels peuvent être affecté.e.s par des événements tragiques sans nécessairement en être conscients immédiatement. Lisa McGee a en effet déclaré à RadioTimes qu’elle devait, en réalisant cette série, “à un moment montrer que cela [les] terrassait". 

La conclusion ici est sans doute, comme nous disent The Cranberries, que le monde peut être sombre, mais après tout, il est bien plus complexe qu'il n'y paraît (“it’s never quite as it seems”). Autrement dit, il y a souvent des choses au-delà de ce qui est visible ou compris, pouvant révéler tout et n’importe quoi, y compris ce qu’il y a de plus beau

Notre Monde © Unifrance

Dans Notre MondeLes Nageuses et Derry Girls, les personnages sont confrontés à des défis qui mettent en péril leur survie, leur dignité et/ou leur droit à une vie normale. Malgré les épreuves, iels continuent souvent d'aspirer à mieux. Ces deux films et cette série mettent au final en lumière la résilience et la lutte que les jeunes n’ont pas le choix d’avoir, y compris dans la réalité, face à des situations qui les dépassent. 

Je vais avoir l’air d’avoir cent dix ans alors que j’en ai trente. Cependant, ma maturité toute relative, de personne qui n’a plus le droit à la carte avantage 12-27 ans de la SNCF, se dit qu’il est nécessaire de rappeler que ces adultes en construction sont l'espoir de demain. Vu que chacun devrait pouvoir vivre dans la dignité et le respect, c'est de la responsabilité collective de leur offrir un avenir où leurs rêves et leurs aspirations peuvent s'épanouir*.

C’est essentiel pour construire un monde plus joli pour tous.

PS : pour approfondir tout cela, vous pouvez aller écouter le dernier son de Macklemore. ❤️

* Ceci ne concerne évidemment pas Jordan Bardella. N’oubliez d’ailleurs pas d’allez voter le dimanche 9 juin (samedi 8 juin pour le continent américain et les Caraïbes), afin de piétiner ses ambitions. 

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