Black dog : l’errance, la quête de sens et le rôle essentiel des animaux
Black dog © Memento/The Seventh Art Pictures
L’autre jour, j’ai vu Black Dog au cinéma.
Prix Un Certain Regard au dernier festival de Cannes, ce très bon film se passe en Chine, près du désert de Gobi. On nous raconte l’histoire de Lang, un ancien cascadeur motocycliste qui revient dans sa ville natale après 10 ans de prison pour homicide involontaire. Cet homme solitaire découvre une communauté en déclin, des bâtiments délabrés et une population humaine clairsemée. Et partout, des chiens errants - dont le “black dog” du titre, avec lequel il va se faire copain.
En sortant de la salle, je me suis fait une remarque. Ou plutôt deux. La première étant : wow, la photographie de ce long-métrage est époustouflante. Par la suite, je me suis dit que l’isolement et l’errance, physique et/ou mentale, ce que traverse Lang, étaient les fils rouges de plus en plus de récits contemporains. Est-ce parce que ces sensations sont devenues des expériences de plus en plus récurrentes ? Est-ce du au capitalisme, à l’insécurité économique, aux bouleversements climatiques, aux guerres, aux pandémies et à l’épuisement des ressources ? À l’arrivée terrifiante de l’extrême droite un peu partout dans le monde, qui participe à une sensation de dérive et d’angoisse sourde ? Un peu de tout cela ?
En tout cas, dans certaines de ces histoires, dont Black Dog, mais aussi Wendy & Lucy, Lean on Pete et Je suis une légende, iels sont accompagné.e.s d’une présence essentielle : un animal - chien ou cheval - qui joue un rôle central. Ces compagnons permettent d’éviter l’effondrement total. En étant à la fois témoins et complices de ce que traversent les héro.ïne.s, ils jouent un rôle essentiel dans leur survie, sur le plan physique, moral ou émotionnel. À travers eux, c’est une idée de résilience qui émerge. Ils deviennent une forme de prise à la réalité et un ultime ancrage à la vie.
Hey, you! Out there in the cold
Black dog se déroule en 2008, année des Jeux Olympiques de Pékin. De retour chez lui à Chixia, où il était autrefois une célébrité locale, Lang est à présent en liberté conditionnelle, obligé de se présenter régulièrement à la police locale. La maison familiale est vide, vouée à la démolition comme tant d’autres. Son père, alcoolique et malade, vit dans le zoo abandonné et cafardeux de la ville. Sa sœur semble partie depuis longtemps et sa mère n’est plus de ce monde. Il ne semble pas avoir de vrai.e.s ami.e.s - plutôt l’inverse. Et puis, comme à la fois des remplaçants aux vies humaines et des spectres d’une vie passée, les chiens ont envahi les rues.
Quelles perspectives d’avenir professionnelles ou personnelles s’offrent à notre héros, allez-vous me dire ? Ma foi, il y en a peu. Lang se retrouve donc affecté à une patrouille créée pour débarrasser la ville de toute présence canine. Il est par conséquent, pris dans l’effort pour éliminer un chien maigre et nerveux dont tout le monde suspecte qu’il a la rage : le “chien noir”. D’abord conflictuelle et mordante, leur relation évolue peu à peu vers une amitié, puis une dépendance réciproque. Ces deux âmes solitaires et cabossées deviennent les reflets l’un de l’autre. Le chien abandonné incarne le miroir de l’humain relégué aux marges de la société et du rêve de réussite.
En toile de fond, les J.O. fonctionnent comme un symbole du "progrès" imposé par les dirigeant.e.s. Ce genre d’événement entraîne une volonté de rendre les villes “présentables” : on fait un "nettoyage social" - comme cela s’est fait à Paris l’été dernier - on rase les vieux quartiers, on extermine les chiens errants. Bien qu’il s’agisse d’un événement mondial célébrant le sport et (en principe) la coopération, ses retombées locales sont souvent négatives, notamment pour les populations les plus démunies, comme à Chixia. Elles participent à l’effacement progressif des communautés vulnérables et de leur environnement.
Le lien entre Lang et le chien devient alors une métaphore de résistance silencieuse : une tendresse brute, farouche, qui refuse de céder à l’effacement.
Hey, you! Out there on your own
Alors que Lang est en plein parcours de rédemption, Hey You de Pink Floyd s’invite à plusieurs reprises, comme sa B.O. introspective à lui. Il l’écoute sur un lecteur bricolé fixé à sa moto, elle-même pimpée avec le logo du groupe britannique. Il a une affiche de The Wall dans sa chambre. Surtout, quelque chose, dans les paroles de cette chanson, semble le traverser tout entier.
Loin d’être choisi au hasard, ce morceau profondément mélancolique fait allusion à la solitude et l'isolement de Lang et à l’envie de se (re)connecter au monde. “Hey you, out there on the road” agit presque comme une interpellation directe : "toi, là-bas, sur la route". On dirait que ça s’adresse à lui, cette silhouette esseulée dans les paysages arides. Comme si une voix venue d'on ne sait où, tentait de lui tendre la main. "Don’t give in without a fight" renforce l’idée de "ne pas abandonner sans se battre" pour trouver sa place et de ne pas se laisser engloutir par le désespoir. Les phrases "Hey you, out there on your own" et "Together we stand, divided we fall" soulignent quant à elles l'importance de l'unité et de la solidarité avec le monde qui nous entoure, choses que Lang découvre et expérimente à travers sa relation avec le chien.“Ensemble, ils tiennent. Séparés, ils sombreraient”.
Et puis vient la fin du film, Hey You revient une toute dernière fois, comme un salut, comme un au revoir au passé et aux souvenirs difficiles. Comme si cette route que Lang empruntait était celle d’un possible, d’un après où tout peut encore advenir.
Hey you, would you help me to carry the stone?
Je suis une légende © Warner Bros
Quoi qu’il en soit, en regardant Black Dog, j’ai tout de suite pensé à Je suis une légende. Thriller d’anticipation que j’ai honnêtement préféré à mes 14/15 ans que maintenant, mais qu’importe. Dans ce film américain post-apocalyptique, Robert déambule dans un New York abandonné, avec son dernier lien avec la civilisation : sa chienne Sam. Dans ce monde dénué de promesse d’un joli futur, elle le protège, l’écoute. Elle vit à son rythme. Elle lui offre une forme de réconfort quand cela est nécessaire. Et en temps voulu, elle va lui permettre de raviver chez lui un élan vers les autres.
D’autres films me sont ensuite venus en tête, plus ancrés dans des réalités sociales. Ces derniers montrent une relation à un animal qui devient un refuge face à un monde brutal, indifférent et/ou en décomposition.
Dans Wendy & Lucy, Wendy est en route vers l’Alaska pour trouver du travail. Vivant dans une grande précarité, sa voiture - son moyen de transport et son abri - tombe en panne, puis sa chienne Lucy, son unique compagnon, disparait. Sans vraiment de famille, encore à des centaines de kilomètres de son objectif, elle perd, avec sa chienne, une part d’elle-même et de sa dignité.
Dans Lean on Pete, c’est Charley, un adolescent de 15 ans, qui tisse un lien avec un cheval de course vieillissant. Livré à lui-même après la mort de son père, il apprend que l’équidé est voué à l’abattoir. À un âge où l’on cherche à se construire, il décide de fuir avec lui à travers les États-Unis, espérant rejoindre une tante qu’il connaît à peine. Lean on Pete (car tel est le nom du cheval) le renvoie à sa propre condition d'abandonné, de marginalisé, qui n'a visiblement pas sa place dans la société de consommation.
Alors que les plus défavorisé.e.s sont laissé.e.s pour compte, que l’on vit dans un monde où les inégalités sociales se creusent, ces longs-métrages nous rappellent qu’il y a vraiment des choses qui ne tournent pas rond dans cet univers. Ils nous disent également que, parfois, ce qui reste de précieux dans nos vies n’est pas l’accumulation de biens ou de succès, mais la solidarité, l’empathie et les liens authentiques, humains et animaux.
Wendy & Lucy © Field Guide Films
Au final, des récits comme Black Dog nous témoignent que les laissé.e.s-pour-compte, les solitaires sont les victimes silencieuses d’un monde qui détruit, rejette, au nom du développement et/ou de la rentabilité. Et dans cette violence, les liens avec les animaux montrent qu’il reste encore des gestes simples, des présences fidèles, des attachements qui tiennent bon. Il est encore possible de renverser la tendance, de (ré)apprendre à nous connecter, à retrouver la gentillesse. C’est peut-être là que subsiste, encore, une forme d’espoir.
Bref, prenons-soin les uns des autres et allez voir Black dog au cinéma.
Du LOVE en pagaille 🖤