L’IA : un autre moyen de faire son deuil ?

Les progrès incessants de l’Intelligence Artificielle et la résurrection des morts

Black Mirror ©Netflix

Black Mirror ©Netflix

« T’es parti. Ta famille pleure et la fête est finie ». Voilà le constat qu’avait fait Shym, un beau jour d’octobre 2006. Est-ce que cette chanson était réussie et pourquoi de mon point de vue absolument pas, ce ne sera malheureusement pas le sujet de cet article. Cependant, elle évoque quelque chose que l’on se retrouve tous à traverser un moment ou un autre : la mort de quelqu’un de notre entourage, qui s’accompagne du deuil.

Barbie, vous, moi... On est tous amené.e.s à réfléchir à la mort et ce assez tôt, car on nous dit qu’elle fait partie de la vie. On peut en effet être, assez jeune, confronté.e à celle d’un proche, d’un.e moins proche ou d’un animal de compagnie. Avec la mort, on fait ainsi la découverte du deuil, qui est finalement assez étrange, car il est à la fois déroutant, universel et très personnel.

Dans le monde entier existent des fêtes des morts cherchant d’une certaine manière à redonner vie aux proches disparus.

Sur une durée limitée (quelques jours) et en collectivité, les habitants d’Haïti par exemple, tout en violet, blanc et noir fêtent les guédés, les esprits des morts. Durant Día de Muertos au Mexique, la joie se mélange avec la mort. Les gens se maquillent, se déguisent en squelettes et organisent des défilés. Ils chantent, dansent et font des offrandes aux morts de leur famille.

Et sur les internets, se développent par le biais de ChatGPT et donc de l’Intelligence Artificielle, des deadbots, soit des applications qui donnent la possibilité de discuter avec des personnes décédées grâce à la création d'un avatar les imitant. Peut-être regardez-vous ou avez-vous entendu parler de Black Mirror ? Cela devrait donc vous évoquer quelque chose.

Black Mirror et la communication avec les morts

Bientôt de retour est le premier épisode de la deuxième saison de la série Black Mirror. Il a été diffusé en février 2013 et parle principalement de deuil et d'amour.

On suit l'histoire de Martha, dont le petit ami Ash est décédé dans un accident de voiture. Alors en plein deuil, elle découvre par le biais d'une copine une application qui lui permet de communiquer avec une intelligence artificielle. Cette dernière imite le défunt en se basant sur ses nombreux messages et publications sur les réseaux sociaux. Martha est d'abord réticente, trouve ça indécent et finit par l'essayer.

Comme beaucoup de gens qui pleurent un être cher, Martha cherche un moyen de dire merde à la mort.

L’on sait que nous ne pouvons pas la vaincre et qu’elle est notre finalité à tous. Qu’autour de nous, des gens meurent et continueront de mourir. Que c’est parfois inconcevable et souvent dur à accepter. Mais que se passerait-il si l’on pouvait s’éviter toute cette tristesse ? Tous ces sentiments douloureux qui restent après le décès d'un.e proche pendant parfois des mois, des années, voir toute une vie ?

Dans Bientôt de retour, une solution de ne pas dire adieu est ainsi proposée à Martha. Comme elle fait face à une immense douleur, évidemment elle l’accepte. Après plusieurs messages échangés avec cette intelligence artificielle, l’application montre à Martha une autre de ses options. Elle lui propose de passer à l’étape au-dessus et de commander une sorte de clone robotisé d'Ash.

Be right back black mirror Netflix

Black Mirror ©Netflix

Comme on peut le prévoir, tout ne va pas se passer comme prévu. Parce c’est malsain et qu’un robot ne remplacera jamais un être aimé disparu. Parce que même en le reculant le plus possible, le deuil reste un passage obligatoire pour nous permettre d’avancer. Parce que l'être humain pense naïvement pouvoir acheter du temps et de l’amour en plus et qu’il ne peut pas. Et enfin, parce que c’est un épisode de Black Mirror, et que les épisodes de cette série se finissant bien se comptent sur les doigts d’une main.

Bientôt de retour est dans mon top 5 des épisodes de Black Mirror, aux côtés de San Junipero et Chute Libre. Car s’il est glaçant, beau et triste à la fois, il est également plein d'humanité. Il nous pousse à réfléchir sur ce qui définit justement cette humanité, alors que toute notre vie se retrouve étalée sur les réseaux sociaux.

Vous vous demandez sans doute, pourquoi aujourd’hui, je vous parle d’une épisode sorti il y a plus de 10 ans ? J’y viens.

Dystopie qui devient réalité

Black Mirror est, dans chaque épisode, magnifiquement interprété et réalisé. C’est une série à la fois fascinante et ultra flippante. Car elle montre tous les côtés néfastes, aliénants et dangereux de la technologie. Et comme on l’a constaté ces dernières années, des prédictions de Black Mirror sont devenues réelles.

En 2017, le journaliste américain James Vlahos a notamment développé une Intelligence Artificielle qui imite son père décédé d’un cancer. En se servant de plusieurs enregistrements sur le récit de sa vie, il peut maintenant  « chatter » avec son géniteur, sur un tas de sujets très variés. L’IA est en effet incollable sur son enfance, sur le jour où il a rencontré sa femme, sur les blagues qu’il trouvait tordantes… Je ne sais pas si John Vlahos s’est inspiré de Bientôt de retour. Mais ce que je sais, c’est qu’il a poussé son idée encore plus loin et a ensuite fondé Hereafter ( « au delà »), une application permettant aux gens, de leur vivant, de faire des vocaux qui seront à leur mort légués à leurs proches. Application pour des gens prévoyants qui ont peur qu’on les oublie, donc.

Et en août 2023, je suis tombée sur une vidéo des plus perturbantes. Elle a déjà un an (je ne suis pas très au fait de ce qui se créé en Intelligence Artificielle, on fait ce qu’on peut) et nous présente un sérieux concurrent à ces projets. Le Project December, donc, qui fait froid dans le dos et fait immédiatement penser à Bientôt de retour.

Project December permet pour la modique somme de 10$, de discuter pendant une heure sans pause avec un.e proche disparu.e. Proche qui par ailleurs, n’a probablement pas donné son consentement pour que l’on utilise ses données après sa mort. Pour l’éthique, on repassera. L’heure est écoulée ? L'IA s'arrête d'elle-même. Et que se passe-t-il ensuite pour l’utilisateur.ice ? Pas grand chose. Iel aura juste passé une heure à échanger avec un algorithme, qui aura surement comblé un manque de lien social pour un court instant. Mais qui le.la laisse au final tout.e seul.e avec sa souffrance, ses questionnements et ses peurs. Iel veut continuer la conversation ? Iel faut qu’iel paye. Et comme Martha dans Bientôt de retour, iel court le risque de se couper de toute autre interaction sociale et de se renfermer sur iel-même.

Plusieurs questions se sont posées à moi. La première : est-ce que cette application ne serait pas en train de se faire de l’argent sur le malheur des gens ? (La vraie première, c’est : WTF ? Mais mes parents me lisent et m’ont appris à ne pas dire de gros mots).

Est-ce que ce, par cette application, ses créateurs ne sont pas en train d’enfermer les gens dans un cycle sans fin de douleur ? Pourquoi est-ce qu’elle ne propose pas par la suite un suivi psychologique, qui permettrait aux gens de se confier, suite à ces échanges ? On voit bien que les premiers échanges avec le “faux Ash” sont légitimement perturbants et douloureux pour Martha.

Honnêtement, je n’ai pas de réponses à ces questions. Et j’ai beau trouver cela creepy à souhait, ma curiosité me pique et mon scepticisme se dit que j’ai peut-être tord de juger si vite. Est-ce que Project December ne pourrait pas être un véritable support, une véritable aide pour dire au revoir ?

J’aimerais vous dire que, pour le bien de cet article, j’ai testé l’application pour parler à ma grand-mère.

Que je lui ai avoué penser encore souvent à elle et lui ai demandé si aujourd’hui, elle était enfin en paix. J’aimerais vous dire qu’elle semblait heureuse de me parler. Qu’elle a conclu par un  « Tu reviens quand tu veux, hein. Mais si t’as le temps ». Phrase qu’elle m’a toujours dit alors que j’avais choisi une carrière de saltimbanque et que du temps, j’avais que ça.

J’aimerais vous dire que j’ai pu partager ce moment avec elle, mais ce serait vous mentir. Joshua Barbeau, un Canadien dont la fiancée Jessica est morte d'une maladie rare du foie, l’a néanmoins fait pour nous et en tire un bilan très détaillé plutôt positif. En ce qui me concerne, je ne l’ai pas fait parce j’aurais eu l’impression de faire mon deuil en me berçant d’illusions.

Conversation entre Joshua et sa copine décédée ©San Francisco Chronicle

Martha, quant à elle, conclue que ses essais sont infructueux. Elle finit par affronter la situation, par envoyer bouler toute cette technologie, pour pouvoir avancer et tenter de trouver le bonheur. Par accepter, donc, qu’Ash est mort. Parce qu’en admettant que cet espèce de droïde pense comme lui, parle comme lui et lui ressemble, il n’est pas capable de l’écouter. Pire, il tourne en boucle, fait prolonger sa douleur et surtout, ne le fera jamais revenir.

Ce que ne permettrait jamais non plus Project December, qui au final, désacralise la mort et rappelle en permanence les traumatismes. Je ne me permettrais pas de juger quiconque l’utiliserait mais cette application me terrifie un peu. Non, je reprécise : l’Intelligence Artificielle me terrifie un peu.


On va aller jusqu’où, comme ça ?

Alors que les scénaristes et acteurs d’Hollywood sont en grève car iels redoutent d’être remplacés par des intelligences artificielles, le monde de l’audiovisuel manipule de plus en plus les images et multiplie les deadbots.

Dans un film de science-fiction à venir intitulé Back to Eden, James Dean sera ainsi ramené à la vie sous forme de clone numérique. Quasiment 70 ans après sa mort, il marchera et interagira à l'écran avec d’autres acteurs. Comme quoi, même les célébrités n’ont pas le droit de reposer en paix.

Thierry Ardisson interviewe Dalida, morte en 1987 ©France Télévisions

Thierry Ardisson, quant à lui, s’est fait la petite coquetterie de se rajeunir de 20 ans et d’interviewer pour son émission Hôtel du temps Dalida et Coluche, décédés respectivement depuis 36 et 37 ans. Ne trouvant pas son public, ce programme a été annulé après seulement deux épisodes.

Je sais qu’on ne va pas tous finir comme dans I, Robot parce que je ne suis pas complètement parano. Mais j’ai par contre des côtés un peu autruche et préfère ne pas y penser avant de devenir techno-anxieuse.

Je passe bien trop de temps sur mon téléphone pour le balancer au loin, mais je crois que je vais le mettre de côté une heure ou deux (ce sera déjà un bon début) pour aller prendre l’apéro avec les copains.

Parce que ce que je retiens de tout ça, c’est qu’il vaut mieux revenir à l’essentiel. Et l’essentiel, c’est pas l’Intelligence Artificielle. L’essentiel, c’est à mon sens de garder une place dans notre cœur et notre tête pour les êtres chers disparus et de préférer côtoyer les vivants. Autrement dit, d’accepter la malheureuse inéluctabilité de la mort. C’est passer par des bas, une grosse quantité de hauts et se persuader que tout ira pour le mieux. C’est continuer à rire, à pleurer, à danser, à vivre, à profiter avec celleux qu’on aime.

Et ce, de préférence, avec un Mojito dans chaque main.

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