Maureen Wilton, mon nouveau modèle féminin de 13 ans
Le record dénigré puis oublié qui a œuvré pour l'égalité femmes/hommes en course à pied
Petite, j’avais certains modèles féminins en tête. Je voulais avoir la classe de Kate Winslet, la bravoure de Mulan, le piercing au nombril de Britney, l’optimisme et la joie de vivre de Dory (oui oui, d’un poisson), la beauté d’Halle Berry et la gentillesse de ma Maman. Et visiblement un peu la fayoterie d’Hermione Granger.
Alors que je deviens un peu vieille et que je ne vais pas tarder à avoir 30 ans (je ne dis pas ça pour que vous m’offriez des trucs mais si vous insistez, sachez que j’adore les cadeaux), je me suis rendue compte qu’il y avait des femmes inspirantes partout et que mes modèles évoluaient. Si j’ai découvert en grandissant notamment Gisèle Halimi, Simone Veil, Angela Davis et Michelle Obama, j’ai réalisé que je m’étais mise à admirer, peut-être étrangement, des gens plus jeunes. Pas seulement la force de caractère et la détermination de ma petite sœur, ni la prestance et le militantisme de Greta Thunberg. Non, j’envie la carrière et le talent de Zendaya et je reste à chaque fois scotchée en entendant la voix de Billie Eilish. Et je me mets à espérer que quand je serais grande, je serais Millie Bobby Brown, alors que je lui mets quasiment 11 ans dans les dents.
Cette liste de role models est vouée à s’étendre. Elle compte d’ailleurs depuis peu un nouveau membre en la personne de « Mighty Moe ». De son vrai nom Maureen Wilton, c’était une canadienne adolescente en 1967, passionnée de course à pied.
Mighty Moe : l'histoire vraie d'une révolutionnaire de la course à pied féminine de 13 ans
Pour être tout à fait honnête, j’ai découvert l’existence de Maureen Wilton dans un épisode d’Atypical, une série d’une bienveillance folle, que je vous recommandais dans un précèdent article. Intriguée par le résumé assez bref qui y est fait sur sa vie, j’ai fait l’acquisition du livre qui relate son histoire.
Il porte le nom de Mighty Moe (« Puissante Moe » en français), est écrit par Rachel Swaby et Kit Fox et est introduit par Kathrine Switzer, première femme à officiellement courir le marathon de Boston.
On y suit l’histoire vraie et inspirante de la coureuse Maureen Wilton (maintenant Mancuso) qui a battu le record du monde de marathon féminin à 13 ans, à une époque où les femmes étaient considérées comme trop faibles pour courir une si longue distance.
Cette société patriarcale ne leur autorise en effet que les petites courses car de nombreux clichés ridicules sur les femmes et la course à pied sont véhiculés : risque de devenir moches et infertiles, de faire tomber leur utérus, d’avoir des grosses cuisses, des poils sur le visage... On prétexte que si elles veulent courir, elles doivent le faire sans « trop de difficultés ». Ou on leur conseille de choisir un sport « plus féminin qui ne les ferait pas transpirer en public », comme la natation, par exemple.
Mais le 6 mai 1967, Maureen Wilton fait fi de cela, et avec Kathrine Switzer et 28 hommes, se poste au départ du marathon de Toronto.
Elle le finit en 3 heures, 15 minutes et 23 secondes, une vitesse qu’aucune femme n’avait jamais atteint avant elle à un marathon. Elle bat ainsi de plus de quatre minutes le précédent record du monde, tenu depuis 1964 par la néozélandaise Mildred Sampson.
Une vague de négativité et de misogynie
Alors qu’aujourd’hui, les marathoniennes qui frôlent ou explosent des records sont heureusement célébrées, l’exploit de Maureen n’a pas été salué. Au contraire, il a été accueilli avec mépris, misogynie et controverse. Elle n’a touché aucune récompense, aucun prix et n’est montée sur aucun podium. Pire encore, elle a été victime de brimades, d'intimidations et de violences psychologiques et verbales.
Les organisateurs ont refusé de valider son temps. Ils ont affirmé que courir les 42,195 kilomètres d’un marathon pouvait lui « entraîner des dommages physiques dans les années à venir ». Autrement dit, ils ont décidé que c’était trop dur pour une jeune fille de son âge. Alors que deux minutes après la course, un médecin a examiné le rythme cardiaque de Maureen et a remarqué que, de tous les participants, c’est elle qui semblait le moins fatiguée.
Son entraîneur, Sy Mah, et ses parents ont été accusés de l’avoir mis en danger. Un journaliste a prétendu que c’était un garçon déguisé, tandis qu’un autre, qui n’avait visiblement aucun don divinatoire, a prédit que le marathon féminin ne se développerait jamais, « malgré la course surprise » de Maureen.
Déjà que le marathon n’était pas sa distance favorite, recevoir toute cette négativité et ce sexisme en pleine tête lui a coupé toute envie d’en courir à nouveau. Elle en fit tout de même deux autres, sans s’imposer un entraînement dingue. Et après quelques championnats du monde de cross-country et quelques courses plus courtes, elle finit par quitter le sport en compétition à 17 ans.
Elle a disparu des radars, est retournée à sa vie de collégienne et excepté à sa fille, n’en parlera quasiment à personne.
Jusqu’en 2009, lorsque John Chipman, ayant l’idée de produire un documentaire radio sur son histoire alors tombée dans l’oubli, la retrouve. Dans ce cadre, il la réunit avec Kathrine Switzer et lui propose de courir à nouveau, pour le Semi-Marathon de Toronto cette fois-ci. Ainsi, elle a enfin pu avoir un peu de la reconnaissance qu’elle méritait. Et elle a pu constater que son amour pour la course à pied était encore bien présent, même s’il s’était fait assez discret pendant des années.
En 2017, un journaliste l’a interviewé et a attesté qu’elle courait toujours, avec plaisir et sans amertume vis-à-vis de la misogynie qui avait accompagné son record.
Des « role models »
Par le biais du récit captivant de l’adolescence-baskets-aux-pieds de Maureen, les deux auteurs de Mighty Moe nous parlent plus généralement de sexisme dans le monde de la course à pied. Ils évoquent d’autres parcours, notamment ceux de Merry Lepper, Abby Hoffman, Bobbi Gibb et Kathrine Switzer. Ridiculisées à cause de leur genre, elles ont énormément encaissé pour prouver que les femmes pouvaient courir la même distance que les hommes, parfois bien mieux qu’eux. Et pour qu’elles soient enfin considérées comme des athlètes.
Je suis admirative de Maureen et de ces femmes qui ont montré aux coureuses du monde entier le chemin pour qu'elles puissent tenir la distance. Elles ont permis que les attitudes changent, que les mentalités évoluent et que de plus en plus de femmes courent. Elles sont de réelles sources de motivation, d’inspiration et me donnent envie de me dépasser.
Je ne suis qu’une sportive du dimanche, donc je n’irais pas jusqu’à dire que cela me donne l’envie de m’inscrire à un marathon. Mais je vais commencer par lâcher cet ordinateur que j’ai dans les mains, prendre mes baskets et aller courir.
Et peut-être qu’un jour, j’aurais enfin le courage de m’inscrire à un 10 km.
Qui sait ?