Du roman à la série, comment “Normal People” a conquis mon cœur

normal people

© Hulu

Attention : cet article peut contenir des spoilers. 

Norvège, Oslo. Je profitais de quelques jours de vacances pour partager de chouettes moments entre copains et manger du chocolat en cherchant de nouvelles résolutions à ne pas tenir. Et pour fêter le passage en 2024, me répétant que le temps passait bien trop vite. Que voulez-vous, je suis trentenaire. 

Oslo possède une architecture très éclectique et un superbe fjord. Je pourrais vous en parler, et évoquer la beauté et la qualité de vie de cette ville, ainsi que de la multitude de choses qu’on peut y faire. Mais ce sera pour une autre fois, un autre sujet est à aborder aujourd’hui. Mes quelques jours passés dans cette métropole norvégienne s’étant conclus par une chute abondante de neige, je fus bloquée à l’aéroport. Alors que j’y errais telle une âme en peine (et visiblement, telle une drama queen), mon chemin a croisé celui du roman Normal People de Sally Rooney. 

L’on m’avait en bien parlé de la série mais je ne connaissais à vrai dire rien de l’intrigue, du ton, des personnages... Bref, en gros, je ne savais rien à propos de Normal People. Une rapide lecture du résumé m’a conduit à me dire : “hé, pourquoi pas ?”. La dernière page lue quelques heures plus tard, le coeur en miettes et les yeux embuées (et toujours pas arrivée à destination), j’ai compris pourquoi ce roman avait été un best-seller. J’ai également réalisé que j’avais lu un récit juste, sensible et touchant sur la fin de l’adolescence et sur les dynamiques de l’amour.

Normal People se déroule en Irlande. L’auteure nous y raconte l’histoire d’amour réaliste et intime de Connell et Marianne, qui débute en janvier 2011 lorsqu'iels sont encore lycéen.ne.s. Le lien est fait entre nos deux personnages par Lorraine, la mère de Connell, femme de ménage au service de la famille cossue de Marianne. Lui est un talentueux footballeur d’un milieu modeste, qui jouit d'un fort succès aussi bien dans ses études que sur le terrain de football. Elle est une jeune fille fière et solitaire, qui se rebelle contre ses professeurs malgré ses prouesses académiques. Iels sont tous les deux brillant.e.s et partagent un intérêt pour la politique, la philosophie et les livres. Marianne et Connell semblent être faits l'un pour l'autre, mais le manque de maturité et de confiance les pousse, à plusieurs reprises, à s'éviter, à s’effleurer, à se toucher, mais aussi à connaître des malentendus, des crises et à s'éloigner.

Vu les émotions que m’ont procuré le roman, et vu que je suis probablement un peu masochiste, j’ai regardé la série. J’aurais pu être déçue, comme cela arrive lorsqu’un ouvrage que l’on a un tant soit peu aimé est adapté sur petit ou grand écran. Ce ne fut pas le cas. J’ai en effet regardé l’intégralité des douze épisodes en un peu moins d’une semaine et je ne vais pas vous mentir, la série m’a bouleversée. Jouons-la franco, j’ai fini en larmes à la fin de chaque épisode. 

Normal People ressemble en apparence à une histoire d’amour que l’on nous a servi des milliers de fois.
Comme dans Elle est trop bien par exemple, l’on est face à un duo classique, composé du garçon populaire et de la fille considérée comme bizarre par ses pairs qui tombent amoureux.ses. Chose que lui n’assume pas, car il a peur du mal que cela pourrait faire à sa réputation. On a également, comme dans TitanicL’Arnacoeur ou Newport Beach, un héros issu d’un milieu modeste et une héroïne riche. 

Mais Sally Rooney démontre brillamment que son roman, tout comme la série qui en découle, est bien plus que cela. Utilisant des tropes classiques de la pop culture, elle les détourne et parvient à dresser un magnifique tableau de l’amour au 21ème siècle. 

L’histoire d’un amour générationnel grandissant

Ces dernières années, de nombreuses séries nous ont montré des ados tourmentés, ayant une ou plusieurs addictions, que ce soit la dépendance aux drogues, au sexe, à l’alcool, ou encore à leur téléphone. Dans ces programmes, les personnages sont aussi immatures qu'on peut l'être à l'adolescence et ont souvent du mal, voire échouent complètement, à s'en sortir. J’ai l’impression qu’à l’opposé, les personnages de Normal People évoluent à travers les étapes de la vie, avec ses hauts et ses bas, ses moments de bonheur et de tristesse, sans recourir à des éléments excessivement dramatiques pour susciter l'émotion du public.

Je ne cherche pas ici à minimiser le fait que dans la réalité, certain.e.s adolescent.e.s luttent contre des addictions. Les jeunes peuvent évidemment être confronté.e.s à des défis complexes, y compris des luttes liées à la pression sociale et aux relations familiales. Cependant, les séries télévisées peuvent exagérer ou dramatiser des situations pour des raisons narratives.

Normal People est un roman et un programme télé qui, en capturant le voyage émotionnel d’un premier amour, nous montre à quel point la vie peut être banale. Rooney, du même âge que ses personnages (et du mien, mais là n'est pas la question), nous présente comment les schémas scénaristiques traditionnels, impliquant des dynamiques de popularité et des statuts sociaux différents, peuvent être réinterprétés pour la génération Y

L'auteure démarre son récit au début de 2011. Nous sommes donc moins de trois ans après un krach boursier important ayant eu des répercussions significatives sur l'économie mondiale et ayant conduit à d'importantes réformes financières dans de nombreux pays, dont l’Irlande. Dans la ville ouvrière de Sligo d’où sont originaires nos deux héros, le milieu bourgeois de Marianne la rend différente de Connell et de ses ami.e.s. Lorsqu’ils font ensuite leurs études au prestigieux Trinity College de Dublin, Marianne devient populaire, en partie en raison de son statut social, tandis que Connell se retrouve en position d'outsider.

Marianne et Connell, bien qu'iels ne soient pas adeptes des réseaux sociaux, évoluent naturellement à l'ère des smartphones et des appels Skype. Iels font face à de multiples défis et des conflits intérieurs les déchirent, car ils peinent à véritablement communiquer, à exprimer leurs sentiments et à comprendre l'importance qu'ils ont l'un pour l'autre. Parce qu’au fond, tout cela dépasse le cadre d’une quelconque génération.

Connell, un héros masculin qui sort du commun 

© Hulu

Comme évoqué un peu plus haut, j'ai grandi et évolué en ayant pour modèles télévisuels des couples de personnages issus de milieux bien différents. Des films comme Titanic m'ont montré en Jack Dawson, moitié d’un couple passionnel avec Rose, un personnage sans-le-sou déterminé, arborant un esprit aventureux et une nature de sauveur. Gossip Girl nous montrait un Dan originaire d'un milieu prolétaire, supposément gentil, qui dissimulait des comportements bien peu nobles. Dan et Jack ne se conforment pas toujours aux normes sociales établies. Ils interagissent tous deux avec des protagonistes provenant de milieux sociaux plus privilégiés et vivent une histoire d'amour qui transcende les barrières sociales. Tous deux se distinguent par leur confiance en eux et leur nature protectrice envers la femme aimée. 

Connell n’est pas comme eux. S’il est le sportif du lycée, personnage typique des teen drama, il est également différent de Troy d’High School Musical ou d’Archie de Riverdale. Il est tout comme eux la star du lycée, mais contrairement à eux, c’est bien malgré lui. Doté d'une timidité et d'une certaine maladresse, il a souvent peur, commet des erreurs et rougit facilement. Il éprouve des difficultés à exprimer ses idées et à faire abstraction de son statut social, distinct de celui de Marianne. Il a parfois d’ailleurs l’impression qu'il n’est pas assez bien pour elle, notamment en raison du tabou entourant l'argent.

Normal People ne cherche pas à raccrocher Connell au stéréotype du mec viril. La scène où il joue au football gaélique, par exemple, ne semble pas viser à montrer à quel point il est doué. Par un gros plan sur le visage de Marianne, elle met en évidence le désir grandissant de Marianne. La version télévisuelle capture d’ailleurs de toute beauté l’attirance qui s’installe entre nos deux personnages. Iels se regardent beaucoup de manière générale, des regards subtils au début, puis des regards plus longs une fois que leur histoire commence réellement. 

Ce qui rend Connell également différent de tout ce qu'on nous a présenté pendant des années, c’est qu'il n’est pas le personnage du protecteur. Il ne répond jamais par la violence lorsque Marianne est en danger, à l’inverse de personnages comme Dylan McKay dans Beverly Hills 90210 et Ryan Atwood dans Newport Beach. Connell est présent lorsque ses ami.e.s se moquent de Marianne mais il ne dit rien. Il est au courant que Marianne est battue par Alan, son frère et par d'autres hommes qu’elle fréquente, mais il ne fait rien - excepté une fois dans la série où il plaque Alan contre un mur, passage que l’on ne trouve pas dans le roman. Et cela peut énerver, qu’il ne réagisse pas. Cela va à l'encontre des attentes souvent véhiculées par les représentations classiques de la virilité à la télévision, ce qui prouve à quel point Dylan McKay, Ryan Atwood et tous les autres nous ont conditionné.e.s. 

Au final, Connell montre que la force peut également résider dans la vulnérabilité. Cette subversion des attentes contribue à la profondeur du personnage de Connell et à la remise en question des normes de “masculinité” perpétuées dans les médias.

Une réalisation et une bande-son à couper le souffle

La réalisation de Normal People a été partagée en parts égales entre Lenny Abrahamson et Hettie Macdonald. Faisant usage d’une réalisation authentique, intimiste, et un poil contemplative, iels nous plongent toustes deux au coeur de cette histoire pleine de délicatesse et de bienveillance. Il y a une certaine lenteur, qui pourrait être plombante, mais que nenni, elle permet d’accompagner pleinement les personnages dans leur histoire. Les jolis paysages irlandais, ainsi que la manière dont la caméra capte les émotions des personnages contribuent à créer une atmosphère visuelle captivante.

Les scènes érotiques qui parsèment la série sont délicatement filmées. Elles sont tendres et puissantes, sans être imprégnées de male gaze. Bénéficiant durant le tournage de l’encadrement de la coordinatrice d’intimité Ita O’Brien, elles sont loin d’être voyeuristes et mettent en avant les regards et les sensations des personnages. Elles abordent par ailleurs le consentement et l’utilisation de protections, impliquant l’acceptation mutuelle des désirs de l'un et de l'autre.

La bande originale de la série est quant à elle assez incroyable. Elle fut d’ailleurs largement saluée pour sa capacité à compléter parfaitement les différentes émotions des personnages. Mélange éclectique de morceaux acoustiques, elle pourrait être assimilée à ces playlists qui nous servent à regarder par la fenêtre en regardant la pluie tomber. Ou encore à celles que l’on entend dans les cafés un peu bobo que j’aime fréquenter (encore une fois, je suis trentenaire). 

Plusieurs artistes et groupes irlandais figurent également dans la bande sonore, renforçant le contexte culturel de l'histoire. J’ai par ailleurs souvent dégainé mon téléphone lors de mon visionnage, pour Shazamer des chansons que j’écoute maintenant en boucle, telles que Maybe de SOAK. 

normal people

© Hulu

Normal People est entré dans mon cœur à une vitesse folle et n’en ressortira probablement pas de si tôt. 

En partie parce que ce récit, à l'instar de Fleabag, propose une conclusion des plus poignantes et satisfaisantes. Sally Rooney ne choisit pas de prendre la voie qu’empruntent de nombreuses œuvres où deux héro.ine.s connaissent une, voire plusieurs, rupture émotionnelle et finissent ensemble. Elle clôture à la place son récit en permettant à ses personnages d’achever le voyage qu'ils ont entrepris au cours de ces années charnières de leurs vies.

Connell et Marianne cherchaient, comme le titre l’indique, à être normaux.les. Ce qui est sans doute un abus de langage, vu que tout le monde est en quelque sorte dysfonctionnel et que personne ne sait ce que signifie réellement la normalité. Mais finalement, iels mûrissent et finissent par comprendre à quel point iels s'aiment et sont importants l'un pour l'autre. Iels ont désormais tous les deux capables d'entretenir des relations amoureuses saines. Plus que cela, iels sont en fin de compte capables de tout faire pour être heureux.ses.

Peut-être que ce que Sally Rooney cherche à nous transmettre avec Normal People, c'est que c'est cela, être normal.

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