Oasis et la construction de l’identité

Oasis - Liam & Noel

Liam et Noel Gallagher © Stefan De Batselier

Je m’étais donné pour objectif en lançant ce blog de poster un article tous les quinze jours le dimanche. Quelques imprévus ayant ébranlé mon inspiration et ma confiance en moi, voilà que je me retrouve à poster celui-ci avec quatre jours de retard. Je vous prie d’accepter mes plus plates excuses pour cette livraison tardive.

Qui, heureusement, a tout de même fini par arriver à bon port, contrairement au superbe planétarium que j’ai commandé pour mon neveu à King Jouet. Suis-je une tante ingrate ? La réponse à cette question ne sera pas le sujet d’aujourd’hui. Plutôt encline à me prendre pour une Philippe Manœuvre du dimanche (ou du jeudi, du coup), je vais plutôt vous parler de ma passion pour un groupe de musique. 

Je ne crois pas être fan de quiconque. Je ne serais pas du genre à attendre des jours devant une salle de spectacle afin de voir un.e artiste ou un groupe de musique que j’admire. Il ne me viendrait jamais non plus à l’idée de faire des centaines de kilomètres ou de payer une fortune folle pour voir un concert. Et pourtant, je l’avoue sans sourciller, j’aime profondément et viscéralement le groupe britannique Oasis.

Comment pourrait-il en être autrement ? C’est un groupe dont j’ai hurlé, de façon parfois - souvent - approximative les paroles. Un groupe qui a su illuminer ma journée quand j’avais des idées sombres. Un groupe qui a su me mettre le cœur en miettes lorsque j’avais besoin de pleurer et/ou me tenir compagnie quand je me sentais seule. C’est également un groupe qui a exploré, durant leurs 18 ans d’existence, une grande variété de thèmes dans leurs chansons. Et alors que j’étais moi-même, et que je suis encore un peu, en quête de ma propre identité, ils ont exploré en profondeur ce thème, abordant donc aussi la recherche de sens dans la vie, de besoin de reconnaissance et de la lutte universelle pour trouver sa place dans le monde.

Manchester et les racines d'Oasis

L’histoire d’Oasis commence dans les années 80 à Manchester. Berceau de plusieurs groupes pop influents dans les années 60, tels que les The Hollies, puis lieu de naissance de groupes légendaires tels que Stone Roses, Joy Division, Buzzcocks et The Smiths, cette ville des Royaume-Uni est située à 260 km au nord-ouest de Londres. Longtemps considérée comme un mastodonte de l'industrie textile, elle a joué un rôle central dans la révolution industrielle du XIXe siècle. La ville s'est développée rapidement en tant que centre mondial de la production de coton. Les conditions de travail dans les usines étaient difficiles, mais la prospérité de la ville était pendant longtemps étroitement liée à cette industrie. Jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus. 

La ville fut marquée par des défis économiques importants, en particulier à la période où Margaret Thatcher était au gouvernement. Les politiques de désindustrialisation et les coupes budgétaires ont conduit à un déclin économique dans la région, avec la fermeture de nombreuses usines et la perte de nombreux emplois. Entre 1975 et 1985, l'est de Manchester a été particulièrement touché, avec une perte d'emploi atteignant les 60%

Cette transformation a amplifié des blessures profondes dans le tissu social de la ville, alimentant divers mouvements sociaux. La première ministre britannique, à la politique agressive et conservatrice, cherchait à réprimer toute protestation et envoyait la police montée pour contenir le.la moindre gréviste. Cette tactique, violente et controversée, a symbolisé le climat tendu de l'époque.

Quelques cinéastes, à l’instar de Ken Loach, tentaient de pousser la voix et de faire passer des messages de manière impactante. Malheureusement, la plupart n’atteignaient pas un large public.

En revanche, la Britpop - (contraction de "British pop", pop britannique en français) su capter l'attention, en particulier celle de la jeunesse. Réponse à la domination américaine sur le marché musical et en particulier au mouvement grunge, ce sous-genre du rock alternatif contribua à définir une identité culturelle pour cette période. Ce mouvement musical fut médiatique et éphémère, mais caractérisée par des paroles souvent ancrées dans les réalités sociales, politiques et culturelles de l'époque.

La Britpop a ainsi offert une plateforme pour exprimer leur vision du monde, leurs préoccupations, leurs désirs et leurs frustrations à plusieurs jeunes groupes anglais.

Dont Oasis, mené par les frères Liam et Noel Gallagher.

Tensions médiatiques, frictions fraternelles

Une du 12 août 1995 ©NME

Une du 12 août 1995 ©NME

Oasis s’est donc formé à Manchester, en 1991. Le groupe était connu non seulement pour sa musique, mais aussi pour sa rivalité ultra médiatisée avec le groupe Blur. Les plus contents dans tout cela étaient évidemment les médias de l'époque. À coup de gros titres accrocheurs, ces derniers exploitaient cette tension au maximum, évoquant une opposition entre deux mondes, le Sud de la classe moyenne (représenté par Blur) et le Nord ouvrier prolétaire (représenté par Oasis).

Se forgeant rapidement une image de "rebelles indomptables", Oasis était également marqué par des querelles publiques et des différends constants entre deux de leurs membres, les frères Liam et Noel Gallagher.

Le chanteur principal du groupe, Liam, à coup de punchlines (parfois rigolotes, reconnaissons-le), apparait en interview provocant, impulsif et arrogant. Son ainé Noel tente tant bien que mal de le remettre à sa place, souvent en vain. Tous deux dotés d'un caractère bien trempé, ils se retrouvent à s’humilier en public, à s’insulter en interview et à se battre physiquement. Peu de groupes se sont quand même mis des coups de tambourins dans la tête en plein concert (et heureusement, me direz-vous). 

Je l’accorde, ces comportements ne sont pas justifiables. Ils ne viennent cependant pas de nulle part. Ils trouvent en effet racine dans une enfance difficile passée dans le quartier pauvre de Burnage à Manchester, en présence d'un père alcoolique et violent. Cet environnement familial a laissé des marques profondes sur les deux frères et fut une source d’inspiration pour le groupe. 

Tout ce contexte se reflète dans les paroles de leurs chansons, à travers une grande diversité de thèmes. De la rêverie à la rébellion, en passant par les drogues, la célébration de la jeunesse et la critique sociale. Cette capacité à aborder des sujets variés et souvent universels a contribué à établir une connexion profonde avec leur public. Les gens se sont reconnus, et en partie car Oasis brilla dans sa façon de plonger avec authenticité au cœur de la question de l'identité.

La quête perpétuelle de soi

Reprise de nombreuses fois, y compris par ceux prétendant savoir jouer de la guitare sur la plage, Wonderwall est la plus emblématique de leurs chansons. Noel, qui a écrit la quasi-totalité des chansons, la décrit comme parlant d'un.e ami.e imaginaire qui viendrait sauver quelqu'un de lui-même. La chanson n’est pas une chanson d’amour et n’est donc pas écrite à propos de sa petite amie de l'époque. Elle ouvre à la place une réflexion profonde sur le parcours de découverte de soi.

Faisant tout d’abord le constat que nous aspirons à trouver du sens dans nos relations personnelles, elle nous rappelle que nous avons tous un profond désir de validation, de réciprocité et de reconnaissance. Dès lors, elle soulève la question : que sommes-nous sans le soutien, la validation et l’estime des autres ? En particulier ceux que l’on aime ? Cette quête de sens dans nos relations peut alors être vue comme une recherche simultanée de notre propre identité.

Cette recherche est à la fois liée et totalement distincte du fait de s'accepter, qui est pour le coup relaté par les paroles de Dont Look Back in Anger. Chanson située non innocemment juste après Wonderwall sur l’album (What's the Story) Morning Glory?, ses paroles nous poussent à faire face à l'avenir avec confiance, afin de pouvoir embrasser notre véritable essence. Accompagnée d’un ton mélodieux et apaisant et d’un message d’espoir, Don't look back in anger nous dit qu’il faut avoir notre propre route, notre propre chemin (passe le message à ton voisin, comme dirait Tonton David), en laissant derrière toute amertume, tous fardeaux émotionnels du passé et regrets. On retrouve ce désir de quitter le passé pour aller de l'avant et vivre sa propre vie dans les chansons Cast No Shadow et Listen Up. Durant cette quête, l'on expérimentera et des questions surgiront, mais la recherche de réponses est déjà en soi une réponse, comme il est souligné dans D' You Know What I Mean?

Ensemble, ces chansons transmettent au final un message puissant d'affirmation de soi, d'acceptation personnelle et de refus des obstacles qui pourraient empêcher d’être bien dans sa vie et dans sa tête. Elles évoquent également la capacité à se libérer des contraintes passées pour découvrir une identité plus authentique, affranchie des poids et des entraves antérieurs.

De l'explosion stellaire à la recherche de l'éternité

Véritable hymne, Champagne Supernova n’est pas des plus limpides. C’est même une chanson complexe, qui peut tout de même se targuer d’être ouverte à l'interprétation.

Noel Gallagher n'a jamais clairement expliqué le sens de cette chanson, déclarant même dans une interview de 2020 qu’il n’avait "pas la moindre idée" de ce que signifiaient réellement les paroles. Il a tout de même partagé par le passé qu'elles évoquent un sentiment de transcendance et d'émerveillement devant l'univers

Certain.e.s auditeurices considèrent qu'elle traite, avec cette symbolique de "supernova de champagne”, d’une envie de s’évader de la réalité quotidienne, vers un état second. La supernova et le champagne évoquent donc une explosion qui serait donc à la fois stellaire, lumineuse et euphorique. Pour d’autres, les paroles évoquent la nature changeante de chacun (“How many special people change?’’ - Combien de personnes spéciales changent ?) et les expériences partagées liées à la recherche d’évasion, de plaisir et de prise de drogues (“Where were you while we were getting high?’’ - Où étais-tu pendant que nous étions défoncés ?). Mais face à cela, l'idée de "Wake up the dawn and ask her why, a dreamer dreams she never dies" peut être interprétée comme un appel à se réveiller face à la réalité, à poser des questions sur la signification de la vie et à reconnaître la perpétuité des rêves. 

En fin de compte, la chanson explore des thèmes liés à la complexité de l'existence et à la recherche de soi-même dans un monde en perpétuelle évolution.

Notre monde se transforme constamment, et c’est une des raisons pour laquelle nous aspirons parfois à laisser une sorte d’héritage intemporel et transcender la mortalité. C’est en tout cas ce que nous dit Live ForeverLes paroles de cette chanson suggèrent une quête de quelque chose de plus grand, une aspiration à vivre éternellement et à laisser une empreinte indélébile dans le monde. Pas d’envie mégalo ici, mais plutôt une aspiration à créer quelque chose de significatif et intemporel. Les vers tels que "Maybe I just wanna fly, wanna live, I don't wanna die" soulignent le désir de transcender les limites de la vie humaine et de vivre de manière significative. 

Ainsi, Live Forever offre des éléments qui touchent à la fois à la quête de soi, à la recherche de sens dans la vie, à un désir d'importance et une peur d'être oublié, tout en exprimant un certain détachement vis-à-vis des futilités de la vie quotidienne : “Maybe I don't really wanna know How your garden grows” - "peut-être que je ne veux vraiment pas savoir comment pousse ton jardin."

© Licence Creative Commons

Je ne suis peut-être pas très partiale, mais je suis persuadée qu’Oasis a laissé une empreinte indélébile dans l'histoire musicale. Avec 75 millions de disques vendus et 45 récompenses, dont six Brit Awards, le groupe a connu un succès international retentissant, remplissant des stades à travers le monde. Leur musique a agi comme une sorte de catalyseur, invitant quiconque les écouterait à entreprendre des explorations émotionnelles et existentielles.

Leur influence a marqué une génération par leurs paroles et leur musique. A tel point que, depuis leur séparation en 2009 (en France, cocorico ?), des rumeurs de reformation du groupe émergent très régulièrement. M’enfin, bien que je sois de nature optimiste, je pense que la probabilité que mon neveu voit un jour son cadeau de Noël est plus grande que celle de voir ensemble sur scène les frères Gallagher. 

En attendant, l’on ne peut que se réjouir que Liam que Noel aient tous deux réussi dans leurs carrières solos. Ils ont montré au passage qu'ils étaient capables de s'épanouir musicalement en dehors d'Oasis, tout en maintenant une belle influence dans l'industrie musicale britannique. 

Et dans l’industrie musicale de mon cœur. 

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