Fleabag : Ode à l'Héroïne Chaotique de Phoebe Waller-Bridge

© BBC/Amazon Studios

On dit souvent que la vie est pleine de récurrences, que c’est un cycle où tout se répète. La preuve en est que ma playlist inclut à nouveau The Middle de Jimmy Eat World et Complicated d'Avril Lavigne et que les jeunes de la génération Z portent les baby tees et les jeans taille basse que je portais au collège. Un autre exemple se manifeste dans mon second visionnage de la brillante série anglaise Fleabag.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je me suis plongée dans une série que j’avais déjà vue, alors que les plateformes de streaming regorgent de programmes divers et variés. La réponse est plutôt simple. Tout cela tient dans le fait que dénicher une bonne série n’est pas toujours une tâche aisée. Alors, lorsque l’on trouve une perle rare, on se trouve pour objectif de la chérir et d’en parler à qui veut bien l’entendre. 

C’est par deux fois, donc, l’expérience que j’ai vécue avec Fleabag. Créée et interprétée par Phoebe Waller-Bridge, cette série est l’adaptation de son seul-en-scène du même nom, qu’elle avait présenté au Festival international d’Édimbourg en 2013. Pièce qu’elle a ensuite rejoué à guichets fermés durant l’été 2019. Dans la pièce tout comme dans la série, elle nous partage avec humour, malice et clairvoyance ses pensées sur son entourage, son penchant pour l’alcool et le sexe, ses névroses et la quête de sa place dans le monde. 

Mais qu'est-ce qui rend Fleabag si géniale ? 

Une écriture brillante

Premièrement, c’est écrit de façon magistrale. Utiliser le terme “génie” devrait probablement se faire avec précaution, mais je n'ai aucune hésitation à affirmer que Phoebe Waller-Bridge en est un.

Comment pourrait-il en être autrement alors qu'elle est aussi à l'origine de Killing Eve, qui fut saluée à plusieurs reprises et qui reçut de nombreux prix et récompenses ? Et qu'elle a collaboré, sur demande de Daniel Craig himself, en tant que co-scénariste sur le dernier James Bond, Mourir peut attendre ? Je n'ai aucune idée de la valeur de ce dernier mais une chose est sûre : Phoebe Waller-Bridge est une de ces actrices et scénaristes que je rêverais d’être.

En l’espace de deux saisons et douze épisodes au total, elle réussit avec Fleabag à nous faire passer par toute une palette d’émotions, du rire aux larmes, en passant par la colère et la joie. Les dialogues, empreints de sarcasme, d'ironie et d'un humour trash typiquement britannique, parviennent à saisir l'essence même de l'existence humaine.

L’on y suit l'histoire d’une trentenaire célibataire un peu paumée, propriétaire d'un café en faillite à Londres. Surnommée Fleabag (ou "sac à puces" en français), elle recherche désespérément des connexions, malgré des relations amoureuses et familiales tumultueuses. Elle se sent profondément seule et essaie de naviguer dans cette vie après le décès soudain de sa meilleure amie, Boo. La saison 2 débute quant à elle autour d'une table lors d’un dîner familial. Notre héroïne rencontre à cette occasion the hot priest, avec qui elle crée le lien le plus profond et sincère depuis la perte de Boo.

Ce pitch peut sembler de prime abord peu foufou et bien peu audacieux, mais détrompez-vous. Tout le génie de cette série réside dans la façon dont sont amenées les choses. En évitant tout cliché et en maintenant un réalisme saisissant, Phoebe Waller-Bridge, à travers sa tragi-comédie, explore les subtilités et les défis d'être une femme dans notre monde moderne. Elle opte pour une transgression narrative constante, en brisant fréquemment le quatrième mur, nous mettant dans une position de voyeur et de confident.

Dotée d'une personnalité légèrement toxique et manipulatrice, teintée d'une propension à l'autodestruction, à la kleptomanie, et au mensonge, Fleabag entretient une relation complexe avec elle-même. Elle n’a pas l’impression de tenir le rôle que la société lui a dicté et quand les choses vont à peu près bien pour elle, elle trouve toujours un moyen de tout foutre en l’air. Elle ne porte pas une grande estime à son propre égard, mais elle en a conscience et cela la rend profondément humaine. 

Entre charisme et autodérision, habitudes peu saines et tendance à l’abus, elle coche plusieurs cases de “l'héroïne chaotique”, évoquant des figures telles que Bridget Jones ou Annie dans Mes Meilleures Amies

Une héroïne chaotique profondément humaine

Le passage de l'adolescence à l'âge adulte du point de vue féminin a été examiné à de nombreuses reprises au cinéma, comme illustré dans des films tels que La Boum, Lady Bird ou LOL.

Ces dernières années, un autre archétype cinématographique a émergé, offrant une alternative rafraîchissante à la représentation traditionnelle des femmes au cinéma. Ce personnage féminin, auquel il peut être si facile de s’identifier, possède des caractéristiques bien définies. Ce n’est pas une femme douce et soignée, attendant qu’on lui fasse la cour. Ce n’est pas non plus la mère, la fille ou l’épouse d’un protagoniste masculin bien mieux écrit.

Nommée hot mess en anglais, “l’héroïne chaotique” est une femme impulsive, gaffeuse, qui ne sait pas qui elle est et ne sait pas qui serait un bon partenaire de vie pour elle. Elle combat ses insécurités en se livrant à des excès, que ce soit la cigarette, l'alcool, le shopping, la nourriture, ou, à l'instar de Fleabag, le sexe.

Elle se distingue par sa franchise, qui se manifeste notamment à travers ses prises de paroles impromptues gênantes, comme l’hilarant discours d’Annie dans Mes Meilleures Amies, composé de chansons, de regards embarrassants et de phrases en espagnol qui n’ont aucun sens, ainsi que le speech de Bridget Jones introduisant le livre de Monsieur Fitzherbert.

Ces excès et ces prises de paroles virent parfois au pétage de plombs plus ou moins virulent. C’est ainsi qu’Annie se retrouve à se battre avec un cookie géant et que Fleabag casse des verres lors de la "sex-hibition" de sa belle-mère, révélant leurs insécurités et leurs traumatismes irrésolus.

Parce qu'au fond, derrière ses plaisanteries cinglantes et sa fausse confiance en elle, l'héroïne chaotique qu'est Fleabag cherche à esquiver ses problèmes, ses incertitudes et à éviter la confrontation avec son deuil et sa solitude. Tel un clown triste, elle utilise l'humour comme mécanisme de défense et soulève une question existentielle. Celles de savoir comment être adulte et comment trouver sa place dans un monde où la femme n’est plus contrainte d’avoir des enfants jeune et de se marier.

© BBC/Amazon Studios

En dépit des nombreux défis qui jalonnent la vie de Fleabag, elle a cette capacité unique à captiver instantanément dès qu'elle rentre dans une pièce. Il suffit qu'elle débarque et lâche une plaisanterie pour gagner l'appréciation, suscitant d’ailleurs l'envie de sa sœur. Ce qui au final peut rendre ce personnage de hot mess pas totalement réaliste.

Qu’importe, car il est nécessaire de voir ce genre de personnages à l'écran. L'expérience de la féminité, complexe et merveilleuse, doit être présentée dans toute sa diversité, avec ses vices, ses espoirs, sa gloire et ses échecs. C’est avec brio et à sa manière, ce que Phoebe Waller-Bridge fait avec Fleabag.

Bien que l’on peut reconnaître une critique valable qui lui a été adressée. Il est en effet difficile de ne pas remarquer le manque de diversité au sein de la série, tous les personnages principaux étant blancs et hétéros. Cette observation ne vise pas à diminuer l'impact émotionnel de la série mais à souligner la nécessité d'une plus grande inclusion dans les productions télévisuelles.

Quoi qu’il en soit, lorsque cette brillante petite série Fleabag arrive à sa conclusion, qu’on nous laisse en larmes à cet arrêt de bus, on a l’impression de perdre une bonne copine. Un sentiment de mélancolie s'installe, qui a d’ailleurs incité des journalistes du Guardian à écrire un guide de survie post-Fleabag.

Alors que personellement, j’apprécie que Fleabag ne s’étende pas sur des tonnes d’épisodes qui nous auraient perdus en chemin. Elle finit sans donner naissance à un spin-off ou des préquels à gogo, contrairement à tout un tas d’autres séries qui, malgré un concept de départ solide, se sont perdues dans leur quête de rentabilité. The Walking DeadDexter et Lost, c’est à vous que je m’adresse.

J’aime quand les créateurs de séries décident qu'il est temps de clore définitivement leur œuvre avant qu'elle ne perde de sa qualité. Cette approche les rend bien plus précieuses et mémorables

© BBC/Amazon Studios

En disant au revoir à notre héroïne et au hot priest, nous ressentons le vague à l'âme familier de la fin d'une belle amitié télévisuelle, mais cela témoigne finalement du pouvoir d'une série qui sait dire adieu au bon moment.

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