La “blonde idiote”: déconstruction d’un stéréotype

L’origine et l’impact des clichés sexistes et infantilisants sur les femmes blondes

simple life - paris hilton

The Simple Life ©E!

Alors que je faisais du tri dans les affaires laissées chez mes parents, je suis retombée sur une bande dessinée Les Blondes que l’on m’avait offert alors que je devais avoir une douzaine d’années. 

Par curiosité et surtout, parce que je ne suis pas toujours très efficace lorsque je range, je l’ai ouverte. Était-ce une belle redécouverte ? Absolument pas, c’était plutôt navrant, à vrai dire. Emplie de beaufitude, de stéréotypes sexistes et de clichés éhontés, cette bande dessinée compile, comme son nom l’indique, des blagues (nulles) sur les blondes. Sur chaque planche, ces dernières se retrouvent dans des situations mettant en avant leur prétendue manque d'intelligence, leur étourderie et/ou leur maladresse. Et en plus d’être montrées comme totalement écervelées, elles sont représentées de façon hyper suggestive, portant des mini-jupes et des décolletés mettant en avant une poitrine généreuse.

Je vous l’ai dit, du sexisme et de la beaufitude. Avec le recul, je ne saisis pas très bien le message que l'offreur.euse a voulu me transmettre. Étant moi-même blonde, il m’est arrivé de devoir faire face, plus jeune, à des remarques liant ma couleur de cheveux à mon supposé manque d'intelligence. Préférant préserver mon cerveau et ne pas me créer d’ulcère, j’ai donc refermé la BD.

Alors que je la mettais au tri, espérant qu’elle devienne quelque chose de bien mieux, genre un exemplaire de Les Culottées, je me suis demandée : d’où ça vient, ce cliché sur les blondes ? 

Certes, le stéréotype de la blonde bête et superficielle est un problème mineur en comparaison à d’autres formes de discriminations endurées dans le monde. Les stigmatisations basées sur la couleur de la peau, la religion, l'orientation sexuelle, la classe sociale et le genre continuent de causer des dommages bien plus graves et systémiques.

Mais il n’empêche que, bien qu’il se soit essoufflé, ce cliché persiste et a trouvé sa place pendant des années dans la vie de tous les jours et dans la culture populaire. Les médias, que ce soit dans les blagues et les bandes dessinées, mais aussi dans les films, les séries ou les publicités, ont souvent répandu l'idée que les blondes étaient un peu naïves, moins intelligentes, voire carrément débiles. Il est ici assez cocasse de noter que cela ne concerne que les femmes. Le blond des sketchs de Gad Elmaleh est en effet représenté comme un homme parfait, exceptionnellement chanceux et accompli. Quant au personnage joué par Pierre Richard dans Le Grand Blond avec une Chaussure Noire, il est certes maladroit, mais aussi débrouillard et ingénieux.

Cependant, certaines personnalités ont astucieusement retourné ce cliché à leur avantage. À des époques différentes, les chanteuses Dolly Parton, Bridgit Mendler et Avril Lavigne, ont toutes les trois saisi l’occasion pour chanter des plaidoyers contre les stéréotypes liés à l'apparence, afin de véhiculer des messages d’empowerment et d’affirmation de soi.

D’autres ont délibérément exploité le stéréotype pour se frayer un chemin. En effet, alors que tout le monde a pris Paris Hilton pour une crétine pendant des années, elle a, pendant ce temps-là, bâti une solide carrière dans la mode, la musique et la philanthropie. Et gagné plein d’argent. Alors, c’est qui, la crétine ? (Assurément pas Paris Hilton). 

Les prémices d’un stéréotype 

Dans un article de Slate, Geneviève Sellier, historienne du cinéma spécialisée dans le genre, indique que “la blondeur, dans notre civilisation judéo-chrétienne a d'abord été associée à l'innocence et à la pureté”. La Vierge Marie était d'ailleurs l'une des premières figures célèbres aux cheveux blonds, comme en témoignent de nombreuses iconographies religieuses. Ainsi, la blondeur a longtemps été liée à la pureté et à la délicatesse de l'âme féminine. 

Dans son ouvrage Les Blondes : Histoire d'une fascination, Joanna Pitman met en évidence l’ambivalence que suscitaient les cheveux blonds au Moyen-Âge en Europe. Alors qu’ils pouvaient être sources de fascination, ils étaient également, dans certains esprits, liés à la représentation d’Ève dans la bible, et dénotaient tous les vices. Plus tard, à la cour de Louis XIV, l’on avait souvent une préférence pour les cheveux plus sombres, considérés comme plus nobles, tandis que la blondeur était associée à des classes sociales inférieures.

L'expression courante de "petites têtes blondes" utilisée pour désigner les bambins vous est sans doute familière. Selon Victoria Sherrow dans son ouvrage Encyclopedia of Hair, l'image de la femme blonde a ensuite, par raccourci, été associée à celle de la "femme-enfant". On la représentait et l’imaginait comme une figure toujours pure et naïve, destinée à être protégée par l'homme viril et protecteur. Et petit à petit, de façon malheureusement prévisible, cette perception évolua vers une forme d’infantilisation, de dénigrement et de moquerie. Et la femme blonde, dans les esprits, devint stupide.

Claude-Hoin Portrait-Rosalie-Duthe

Rosalie Duthé, portrait de Claude Hoin

La première blonde caractérisée comme telle, toujours selon Victoria Sherrow, serait la française Rosalie Duthé.

Courtisane de Louis XV, elle est caricaturée dans la pièce de 1775 Les Curiosités de la Foire. Elle y apparaît à la fois comme belle, stupide et incapable de tenir une conversation. Rosalie Duthé fut donc première de gondole, mais la blonde tournée en ridicule eut de multiples visages.

Au XXème siècle, les hommes préfèrent les blondes

Selon Annette Kuhn dans son ouvrage The Women's Companion to International Film, trois stéréotypes de femmes blondes ont émergé dans le paysage cinématographique du XXème siècle. Assez distincts, ces archétypes sont néanmoins connectés, plaçant la femme blonde comme un objet à la fois vénéré et déshumanisé.

On trouvait donc "la mystérieuse blonde glacée", une femme peu digne de confiance, qui séduit les hommes avec son charme vénéneux, incarnée dans les films d’Hitchcock par des actrices comme Grace Kelly et Kim Novak. La “blonde fatale”, ensuite, fut souvent représentée comme séduisante, sophistiquée et manipulatrice, exploitant son charme pour obtenir ce qu'elle désire (des hommes). Annette Kuhn donne ici l’exemple de Jean Harlow et de Brigitte Bardot. Enfin, la “blonde idiote” partage la sexualité animale de la précédente, “associée à une profonde ignorance”. Elle attire l'attention et l'admiration masculine. Cette dernière image fut popularisée par Marylin Monroe dans la comédie musicale de 1953 Les hommes préfèrent les blondes.

L'actrice y incarne Lorelei, un personnage qui dit d’elle-même qu’elle sait “être intelligente, mais [que] la plupart des hommes n'aiment pas ça". Lorelei est une femme un peu simple d'esprit, naïve et matérialiste, intéressée seulement par deux choses : les hommes riches et les diamants. 

Un personnage peu fouillé, en somme. 

Les hommes préfèrent les blondes ©20th Century Fox

Les hommes préfèrent les blondes ©20th Century Fox

Il est assez surprenant de constater que dans le roman de Anita Loos dont est tiré le film, Lorelei n’est pas du tout bête. Geneviève Sellier souligne qu’elle l’est uniquement dans le film, car ce sont des hommes qui ont écrit et réalisé ce personnage. “Il y a transformation du matériau d’origine”. Sans réel étonnement, force est de constater que la blonde potiche est une invention purement sexiste et masculine

A l’inverse de Lorelei, sa copine brune Dorothy est présentée comme moins vénale, plus honnête, plus intelligente et dotée d’une grande répartie.

Blonde contre Brunes 

Bien que Lorelei n’entre pas littéralement en conflit avec Dorothy, elles semblent tout de même être comparées et mises en opposition.

Ce qui, avouons-le, n’est pas très original. Depuis des décennies, dans les médias et l'industrie du divertissement, le trope de la rivalité entre une blonde et une brune est fréquemment utilisé. Et la plupart du temps, c’est pour s’attirer les faveurs d’un homme. Excepté dans l’émission de télé-réalité française désolante Les Gladiatrices. Sortie en 2006, on y voyait dix femmes en bikini s’affronter dans l’huile, réparties en équipes de blondes et de brunes. Comme quoi, en France, on est pas les derniers pour avoir des mauvaises idées.

BREF. 

Tucker Cummings, dans son article Blondes Vs. Brunettes: TV Shows with Betty and Veronica-Style Love Triangles, mentionne plusieurs séries illustrant ce schéma, soulignant que "la blonde incarne souvent la stabilité et le charme de la girl next door, tandis que la brune est perçue comme hautaine et légèrement plus exotique". Elle cite notamment The Office, où la blonde Pam Beesly rivalise avec la brune Karen Filipelli pour attirer l'attention de Jim Halpert. 

Euphoria ©HBO

Les exemples allant dans ce sens abondent. Elle aurait également pu citer Beverly Hills 90210, où Kelly et Brenda se battent pour Dylan ou Gossip Girl avec Serena et Blair, qui ont un sens bien étrange de l’amitié. Plus récemment, on a pu assister à l’effondrement de l’amitié entre Maddy et Cassie dans Euphoria, survenu après que Cassie couche avec l'ex-petit ami de Maddy.

Dans Archie, la BD dont est tirée la série Riverdale, Betty la blonde et Veronica la brune se livrent à une compétition pour Archie depuis plus de 70 ans. 70 ANS. Ce qui est quand même une fenêtre de temps assez large pour réaliser d’autres trucs que de se battre pour un mec, genre des découvertes scientifiques. Ou, de façon plus modeste, pour passer à autre chose.

Dans le film La revanche d’une blonde, Elle, la blonde, et Vivien, la brune, se battent pour posséder l’affection de Warner. Ce dernier largue Elle au tout début du film et expose cette rivalité en la comparant à l'opposition entre Marilyn Monroe et Jackie Kennedy : “Si je veux devenir sénateur, je dois épouser une Jackie (donc, selon, sa vision, avoir une partenaire intelligente et sérieuse), pas une Marylin (donc, toujours selon lui, pas une femme séduisante et extravertie)”. 

Comme avec Lorelei et Dorothy dans Les hommes préfèrent les blondes, on se retrouve face au tandem composé de la blonde "superficielle" et de la brune "intelligente". Tiens, donc. 

Cette tendance à comparer les femmes et à les diviser en deux catégories semble suggérer qu’elles ne peuvent et ne doivent avoir que la beauté ou que l’intelligence. 

Cette fausse compétition créée entre blondes et brunes les enferme dans des rôles figés et dépassés, alimentant le sexisme bien trop ancré dans notre société.

Oh, your hair is beautiful

La pop culture s’est emparée dans les années 2000 du stéréotype de la “blonde idiote” à des fins satiriques, comme Frédérique Bel dans La Minute Blonde. Dans cette émission, qu’elle décrit comme “un bras d’honneur à la misogynie”, elle utilise l'humour pour remettre en question les idées préconçues sur les femmes blondes.

Ces clichés continuent d’exister dans une moindre mesure mais plusieurs blondes badass ont prouvé qu’ils n’étaient que du vent. Elles ont prouvé que la force et l’intelligence n’avaient rien à voir avec la couleur de cheveux.

avril Lavigne Dumb Blond

Avril Lavigne ©BMG

En fin de compte, pour reprendre les mots d'Avril Lavigne, “je ne suis pas une blonde idiote, je suis une putain de cherry bomb, je serai ton icône (...) regarde-moi te prouver que tu as tort”

BAM. 

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